Christian Schiaretti, de Robert Garnier à Jean Racine

Avant de quitter la direction du Théâtre national populaire, il met en scène avec force et intelligence Hippolyte qui date de 1574 et Phèdre qui date de 1677. Il dirige une troupe unique en tête de laquelle Francine Bergé, Louise Chevillotte, Marc Zinga.

@Michel Cavalca

Il maintient. Il maintient son cap : exigence, excellence. Il a une très haute idée du théâtre « service public ».  Il ne partage pas les codes d’hypocrisie de son milieu. Il a toujours exprimé ses opinions, toujours analysé avec lucidité les situations, toujours dérangé les tièdes.

Que cette double production de Hippolyte de Robert Garnier, si rarement mis en scène, et de Phèdre de Jean Racine, ne soit pas déjà prévu en reprise dans les centres dramatiques et scènes nationales qui pourraient l’accueillir, est navrant.

On peut rêver que, signant sa première saison, Jean Bellorini, son successeur à la tête de l’institution légendaire qui se doit de vivre comme un modèle, reprenne ces deux spectacles, jetant un pont d’une direction à l’autre et, surtout, marquant son respect pour les équipes artistiques, technique du TNP et pour ses publics.

Ils répondent présent, ces publics, bien sûr, mais de tels spectacles ne devraient pas s’éteindre en quelques représentations.

« Christian Schiaretti, c’est Vilar et Vitez » dit de lui le grand universitaire Christian Biet dans un entretien avec une autre haute figure du savoir, Georges Forestier, dans un entretien croisé qui paraît dans un numéro de L’Avant-scène théâtre consacré à ce double travail.

Phèdre, dont les représentations ont commencé après la création de cette mise en scène nouvelle de Hippolyte, est donné dans une rigueur sans rigidité, à l’avant de la scène qui, au TNP, est à la hauteur des premiers fauteuils, sans séparation, à fleur de public. Francine Bergé est Oenone, Louise Chevillotte, Phèdre, Marc Zinga, Hippolyte.

@Michel Cavalca

Dans Hippolyte, les protagonistes se déploient sur l’immense plateau. Pas d’éléments de décor lourds, mais un mur du fond très travaillé d’images flottantes, mouvantes dans lesquelles on distingue des silhouettes, des humeurs, une fantasmagorie envoûtante qui répond bien de la sauvagerie des forêts de l’ouvrage de Robert Garnier qu’avait mis en scène, en 1986, Antoine Vitez, salle Gémier, à Chaillot.

Une scénographie de Fanny Gamet qui met en valeur, dans les lumières de Julia Grand, les costumes magnifiques mais sans ostentation, de Mathieu Trappler, les maquillages et perruques de Françoise Chaumayrac.

L’équipe est d’une exceptionnelle qualité et lorsqu’il y a des masques, ils sont signés Erhard Stiefel…

Hippolyte, c’est donc Phèdre, cent ans avant. « L’enfance monstrueuse de notre langue » écrit Christian Schiaretti, cette langue du XVIème siècle, injustement négligée, au théâtre en tout cas.

Un bref glossaire permet aux spectateurs qui voudront s’y reporter après ou juste avant la représentation, de préciser le sens de certains mots et, d’ailleurs, de les savourer. Mais on les comprend parfaitement dans le contexte !

On n’a pas oublié la magistrale mise en scène par Christian Schiaretti du Coriolan de Shakespeare : sans se citer, l’artiste se souvient…Comme il se souvient des années passées à Villeurbanne, à faire évoluer la machine théâtrale superbe…Et, vous le verrez, tout commence par un hommage paradoxal au grand plateau.

Egée sort des infernaux dessous de scène tel un écorché de la Renaissance. Sang de la science, sang des guerres de religion, sang de la cruauté…Philippe Dusigne, impressionnant qui sera aussi un messager et Théramène.

Il y a un choeur dans Hippolyte et ce choeur est là -les comédiens portent de discrets micros pour ne pas être couverts par la musique jouée en direct : François Cardey, cornets à bouquin, Olivia Martin, percussions, luth et théorbe, Charles-EdouardFantin ou Clément Stagnol et une soprane, Anaïs Martin. Tout cela, superbe…

Trois des jeunes femmes du choeur incarnent Panope, Ismène, Aricie. Chacun et chacune dans la discipline, mais dans un frémissement sensuel de tous les instants, également. La rugosité de la langue superbe ne conduit à aucune rigidité. Bien au contraire. Les corps sont engagés complètement dans ce grand travail.

@Michel Cavalca

Julien Tiphaine est un magistral Thésée, furieux, inquiet, désespéré…La partition du personnage est très belle dans la vision de Garnier.

On est empli d’une émotion presque sacré en saluant Francine Bergé qui est une Oenone ambivalente, complexe, contrastée. Cette comédienne extraordinaire a joué Aricie, Phèdre, Oenone…Une racinienne d’exception. Mais elle a prouvé, avec Schiaretti, quelle grande « claudélienne » elle est également !

Marc Zinga qui a défendu avec une puissance radieuse, les années précédentes, le verbe d’Aimé Césaire -et de Claudel, est un passionnant Hippolyte. Chasseur farouche escorté de son berger hollandais (Nikita pour son maître et dresseur…), bousculé par les pulsions des autres, leurs calculs, leurs mensonges, leurs manoeuvres, cet Hippolyte est digne et très touchant.

On retrouve Louise Chevillote, si jeune et si étonnante. Une présence de reine, une sensibilité d’enfant perdu, un sens de la langue, une manière de partager avec ses partenaires qui est signe d’une maturité et d’une liberté assumées.

On est sans cesse ému par cet ouvrage, cette langue, ces personnages que l’on connaît surtout par Racine et qui se présentent comme neufs et très proches. C’est ce que réussit Christian Schiaretti : d’une langue lointaine, mais qui est notre langue française -c’est le temps de la Pléiade et de Ronsard, ami de Garnier et professeur de Marie Stuart, se plaît à penser le metteur en scène- de cette langue étonnante, il nous rapproche et les « personnages », dans leurs tourments, sont nos contemporains…

Théâtre national populaire à Villeurbanne, jusqu’au 1er décembre. Intégrales les dimanches 2′ novembre et 1er décembre. Durée de Phèdre : 2h00. Durée de Hippolyte : 2h15.

Tél : 04 78 03 30 00.

tnp-villeurbanne.com

L’Avant-scène théâtre réunissant « Hippolyte » et « Phèdre », et accompagné d’un ensemble documentaire est en vente sur place ( 16€).

No Comments Yet

Leave a Reply

Your email address will not be published.