Cruautés de Maupassant

Au Poche-Montparnasse, Marie-Louise Bischofberger met en scène quelques nouvelles de l’écrivain, dirigeant de très fins interprètes dans une atmosphère de cabaret.

On descend dans la petite salle du Poche-Montparnasse et l’on rejoint une des petites tables de bistrot ou un banc, au fond. Un piano, dans le coin gauche, près de l’escalier. Les interprètes, ici, sont mêlés aux spectateurs et certains sont déjà installés, lorsque le public se déploie.

On est « Au Café Maupassant » (photo DR) : tel est le titre de ce spectacle conçu et mis en scène par Marie-Louise Bischofberger. Il réunit un musicien, Antoine Bataille et cinq comédiens -au fil du temps, deux d’entre eux seront parfois remplacés.

Et si l’on on bien compris le projet, il s’agit d’un feuilleton, autrement dit, bientôt, d’autres nouvelles, d’autres personnages vous seront proposés.

Tel quel, ce spectacle est cohérent, souvent très drôle, d’une cruauté continue. Le couple est au centre de la plupart des récits retenus. Dureté des hommes, imagination des femmes…De l’irrésistible Le Signe au terrible Imprudence.

Mais il y en a également un sur l’histoire d’un chalutier et de ses hommes, d’une crudité presque insoutenable, En mer.

Nous n’en dirons pas plus car l’un des plaisirs de ce spectacle est dans la découverte de ces nouvelles vénéneuses, pour ceux qui ne les connaîtraient pas et les retrouvailles avec le détail d’une écriture exceptionnellement puissante mais sans lourdeur aucune, pour qui les aurait déjà lues. Guy de Maupassant est un maître.

Dans des costumes inassignables de Bernard Michel qui signe également la scénographie -mais enfin ce ne sont que les mêmes tables et chaises que celles du public…, les « personnages » vont et viennent, vifs et d’une merveilleuse présence dans les lumières de François Loiseau.

On est dans une troublante proximité. Mais évidemment, ne vous attendez pas à tout bien voir si vous n’êtes pas au premier rang. Heureusement, les comédiens sont parfois debout et alors on peut les suivre plus simplement. Mais ce n’est pas grave de « tout » voir car le jeu est si fin, tellement précis, que l’on déguste tout avec volupté. Ou effroi lorsqu’il s’agit des violences des marins…

Le piano accompagne, comme dans un café. Un garçon est là, le sensible Pierre Yvon, pris dans certains moments de jeu, bien sûr.

Charlie Nelson est le premier à pénétrer (il y a déjà des « personnages » en place, on vous l’a dit). Il ne sait pas pourquoi il entre dans ce café et tombe sur un homme rivé à sa table, un désespéré à la Maupassant, le héros de Garçon, un bock ! Cet homme est interprété par Dominic Gould, comédien américain qui joue en France depuis les débuts de l’école des Amandiers de Nanterre. Une trace d’accent et quelques hésitations parfois. Mais cela peut aller avec cet homme détruit.

Charlie Nelson (qui sera parfois remplacé par Régis Royer) est un comédien d’une profonde humanité, d’une vérité immédiate. Il se taille la grande part du « masculin » dans ce déploiement de huit brefs textes. Il est excellent dans le jeu, le partage, le dialogue et idéal dans le récit. Un grand interprète que l’on est heureux de retrouver en si bonne compagnie et dans un théâtre privé…

Elles sont rares, elles aussi, au privé. Louons les filles, elles sont exceptionnelles…Deux seulement. Manon Combes, Marie Vialle (Hélène Alexandridis prendra sa relève dans quelques semaines). Quelle joie de les voir, si coquines, si incroyablement bien accordées aux perfides espiègleries de Maupassant dont la noirceur et l’ironie rejoignent parfois celles de Jules Barbey d’Aurevilly…

On ne saurait donner le détail des situations, car le bonheur est dans leur découverte, on le répète. Longue brune aux pommettes saillantes, grâcieuse et sachant naturellement imposer une autorité certaine, Marie Vialle est magistrale. Dans des registres différents, la solaire Manon Combes est merveilleusement touchante. Des femmes auxquelles Maupassant accorde une indépendance d’esprit, une volonté certaine et beaucoup de sensualité. De très beaux personnages face aux pouvoirs des hommes dans cette société rigide.

On prend beaucoup de plaisir à ce bref moment que Marie-Louise Bichofberger a composé avec élégance et efficacité, s’appuyant également sur la forte personnalité d’Antoine Bataille. On rit beaucoup, on est effrayé parfois, ému toujours. Une pépite.

Théâtre de Poche-Montparnasse, les vendredi et samedi à 19h00, le dimanche à 15h00. Durée : 1h15. Tél : 01 45 44 50 21. Jusqu’au 12 janvier.

www.theatredepoche-montparnasse.com