Emmanuelle Bercot, cette fille du feu

Quelques années après avoir été la déchirante héroïne de « Face à face », sous la direction de Léonard Matton, la réalisatrice et comédienne retrouve Bergman avec Ivo van Hove. Deux mises en scène découvertes il y a dix ans à Créteil, qui ont fait, en version française, l’ouverture du Printemps des comédiens : « Après la répétition » et « Persona ».

Comment oublier ces souffleries énormes dissimulées sous la paroi de cour et qui, dévoilées, emportent les deux interprètes dans une bourrasque d’eau et de vent furieux de bruit effrayant. Elles luttent, elles glissent, elles tombent, elles se relèvent, elles sont trempées. Et envahies d’une joie sauvage.

Cette image extraordinaire, que l’on doit sans doute à l’indissociable scénographe d’Ivo van Hove, Jan Versweyveld, qui signe ici également les lumières, on ne peut l’oublier. On se souvient de Marieke Heebink, on se souvient de Karina Smulders. Elisabeth, la comédienne enfermée dans un farouche mutisme et Alma, la jeune infirmière qui l’a accompagnée sur une île, à la demande de la psychiatre qui soigne Elisabeth.

Un vaste plateau rectangulaire cerné d’eau figure cette île, cet éloignement, cet isolement. Dix ans après les représentations en langue néerlandaise, à la Maison des Arts de Créteil, avec le Toneelgroep Amsterdam, on reconnaît tout. C’est la distribution qui attise l’intérêt, qui nourrit l’émotion, qui fonde l’admiration. Au cœur, Emmanuelle Bercot, sa beauté solaire, sa sensualité, la souffrance du personnage d’Elisabeth. Il faut un sacré cran pour accepter d’être déposée nue, comme lovée sur une table d’examen, et même une table de morgue…Elle n’est pas morte. Elle va même revenir à elle, littéralement, comme le racontait Persona dès 1966.

Choisissant la très frêle Justine Bachelet, brindille à voix rauque, présence forte, charme de petite magicienne, pout être Alma, Ivo van Hove renonce au jeu du miroir, à l’identification de l’une à l’autre qu’avait voulu Ingmar Bergman. C’est autre chose ici, et on l’accepte. Une comédienne adulte qui a choisi de se taire, de se refermer sur son mystère, son masque, face à une très jeune infirmière… Deux femmes jusqu’au déchaînement, comme se déchaînent l’eau et le vent sur l’île, jusqu’au retour d’un ciel lavé…

Dans la partition de la médecin, Elisabeth Mazev est parfaite. Toujours nuancée et intelligente.

Juste avant, on a donc également revu Après la répétition en version française avec Charles Berling en metteur en scène claquemuré dans son théâtre et ses amertumes, la jeune comédienne Anna, Justine Bachelet et Rachel, Emmanuelle Bercot, qui vient les hanter comme un fantôme revendicateur.

On a d’entrée les oreilles écorchées par une sonorisation extrêmement mal réglée, insupportable. Comment est-il possible qu’aucune maîtrise technique ne semble présider à la représentation ? Comment est-il possible qu’on laisse vociférer par moment les comédiens ? Et ces choix de musique ? Toutes ces décisions ou ces négligences, on ne sait, écrasent toute la puissance émotionnelle de la situation. C’est vraiment dommage. Dans ce premier volet, Emmanuelle Bercot impose son personnage détruit et destructeur. On repense à sa magnifique incarnation de Face à face. Bergman l’aurait aimée.

En tournée de l’automne 2023 à l’automne 2024.