On a suivi les phases de son récit théâtral en solo. La voici en troupe, pour évoquer « Le Grand Jour », formule ironique qui désigne l’enterrement de la mère et les états d’âme de ses enfants. Cruel et drôle.
Après Lalalangue, son premier texte mis en scène par Simon Abkarian, que nous avions découvert dès 2018 et qui a été repris jusqu’à très récemment, dans des théâtres en vue. En novembre dernier, Frédérique Voruz, comédienne, metteur en scène, auteure, était au Rond-Point. Son public s’est élargi.
Avec Le Grand Jour, elle franchit un grand pas dans l’écriture et la mise en scène, puisqu’elle a composé une pièce à plusieurs personnages et qu’elle dirige sept de ses camarades et joue elle-même. Le Grand Jour est celui de l’enterrement de la mère.
Un thème traité par des écrivains de théâtre : Odile Ehret avec Ulrich Helger en 1982, Yasmina Reza avec Conversations après un enterrement. Dans ces deux cas, il s’agit de la mort d’un père.
On retrouve ici les thèmes qui obsèdent la jeune artiste, qui passe au crible d’une lumière lacanienne son chemin. Mais la vérité (sa compagnie se nomme Aletheia : la vérité en grec) est que l’on n’a pas besoin de ce dont elle, très certainement, a eu besoin a besoin pour retraverser son enfance, son adolescence et celle de sa fratrie.
Dans une cuisine, lieu de réunion des familles, s’il en est, on se retrouve donc après la cérémonie d’adieu à la mère. Ils sont là, avec leur amoureux ou amoureuse pour certaines. Clémence, qu’interprète Frédérique Voruz elle-même est l’aînée. Le curé est là que joue Sylvain Jailloux… mais qu’il ôte sa soutane, et voici qu’il est la mère, fantôme plus interventionniste que jamais, traînant la patte ! Emmanuel Besnault est Simon, Aurore Frémont est Gabrielle. Elle aime une femme, Julie, Anaïs Ancel. Voici les plus jeunes, Benoît par Victor Fradet, Mona par Rafaela Jirkovsky et son petit ami, Pierre, Eliot Maurel.
Une distribution de belles personnalités, que l’on a souvent applaudies par ailleurs et qui, ici, se plient de bonne grâce à la férocité des souvenirs, des discussions, des disputes. Des règlements de comptes assez typique de la famille. Mais Frédérique Voruz dont on imagine bien ce qu’elle a pu subir, avec ses frères et sœurs, professe une analyse impitoyable de la famille. Et écrit, pour mieux souligner son propos : « Il y a dans ce texte une forme de catharsis, d’exacerbation des conflits familiaux pour en rire, faire de la tragédie une comédie, aller vers des situations archétypales, que nous connaissons tous, pour parler de tous, rendre ce texte universel. »
Ce que réussit Frédérique Voruz est la métamorphose du drame en comédie, et même en comédie déjantée, ne serait-ce que par le choix de faire interpréter par l’excellent Sylvain Jailloux et le Père André, le curé, et la mère ! Cela allège et donne de l’air à des vérités très dures à entendre.
Frédérique Voruz est une artiste vraiment originale et qui a le sens de la troupe, elle qui a travaillé avec Ariane Mnouchkine et avec Simon Abkarian. Et elle se montre excellent metteur en scène, sens du rythme, des scènes larges et des cadrages plus serrés.
On sort de là tout de même très troublé par la violence des paroles et des comportements, et ravi par l’intelligence sans peur du propos, et le jeu. Le théâtre triomphe !
Cartoucherie, Salle de répétition du Théâtre du Soleil, du mercredi au samedi à 20h00, dimanche à 15h30. Jusqu’au 5 mars. Tél : 07 51 22 10 13.