Iphigénie ou le temps suspendu

Stéphane Braunschweig signe la mise en scène de la tragédie de Racine dans une scénographie marquée par la distanciation. Cela donne une sévérité certaine à la représentation portée par un ensemble de comédiens sensibles répartis en formations changeantes.

Si l’on en croit les photographies du livret de salle remis aux spectateurs des Ateliers Berthier, il n’y a pas seulement deux comédiens en alternance pour chaque rôle dans ce travail, mais une combinaison très changeante, mouvante comme l’est discrètement la mer immense qui sert de double toile de fond à la représentation d’Iphigénie.

Vue panoramique de l’espace scénique. Photographie de Julien Gosselin. DR.

L’entrée dans l’immense espace impressionne. Un podium central recouvert de noir, comme l’ensemble de cette halle. Avec simplement deux chaises. De chaque côté, sur le sol, sont installées les mêmes chaises, blanches, deux par deux. Les murs, à l’arrière de chaque ensemble de sièges, portent d’immenses écrans sur lesquels seront continûment diffusées des images de la mer, la mer à l’infini et le ciel parfois déchiré du vol d’un oiseau. L’une des extrémités de l’estrade centrale s’ouvre sur les corridors de la salle, l’autre est fermée par une paroi et une porte. Une fontaine à eau flanque l’un des côtés.

Stéphane Braunschweig l’explique, il a commencé à travailler avec les comédiens au printemps dernier et a pensé cet espace, cette scénographie qu’il signe, dans la perspective de la pandémie et de la distanciation. Curieusement, la mort hante le lieu, évoquant les froids et monumentaux funérariums de certains pays.

Mais Iphigénie ne peut s’inscrire autrement que dans un monde que hante la mort. Mort à venir, et mort du monde même puisque les vents sont tombés et aucun souffle ne semble vouloir jamais reprendre.

Le dispositif impose aux protagonistes un éloignement certain, mais parfois les personnages se retrouvent, se rapprochent, s’agrippent les uns aux autres et alors, il faut l’avouer, l’émotion touche plus.

Un léger défaut affecte la sonorisation : cela peut se corriger. Mais le soir où nous avons vu Iphigénie, le si talentueux Claude Duparfait, Agamemnon, donnait le sentiment de faire exploser les syllabes, effet dommageable et amendable, qui s’est d’ailleurs estompé au fil du jeu.

La blonde et délicieuse Cécile Coustillac, jolie personne de la troupe informelle de Stéphane Braunschweig, possède la lumière, la candeur, la grâce, la voix superbe d’une idéale Iphigénie. Elle connaît d’ailleurs l’œuvre pour l’avoir fréquentée il y a des années. Mais, attention, le podium ne pardonne rien et on voit trop cette merveilleuse jeune fille parler en tendant l’index pour appuyer ses propos.

Cécile Coustillac, Iphigénie, Pierric Plathier, Achille. Photographie de Julien Gosselin. DR.

C’est tellement difficile d’être debout sur ce plateau, un pantalon et un petit chemisier, comme si elle revenait de la plage, regardée de tous les côtés en légère contre plongée. Ils ont du cran, tous ces interprètes, qui n’ont aucun appui, n’étaient parfois quelques chaises sur lesquelles ils s’asseyent.

Mais ils ont la langue, ils ont Racine, ils servent un chef-d’oeuvre. Peu monté. On n’oublie pas une bouleversante Iphigénie, à la Comédie-Française, il y a trente ans, par Yannis Kokkos, avec Valérie Dréville dans le rôle-titre. On oublie une version laborieuse, il y a quelques étés. La pièce est difficile. De l’intime aux manoeuvres politiques, de l’amour aux nécessités de la guerre, Racine plonge au plus profond des atermoiements des êtres. Le mythe, la grande histoire, mais l’humanité aussi, palpitent en une oeuvre construite magistralement et audacieuse. Rien d’encalminé, ici. Sauf les navires.

Claude Duparfait, comédien d’exception, laisse sourdre les flottements du grand Agamemnon, jusqu’à sa lâcheté. Mais il laisse apparaître aussi le débat, la déchirure. D’une manière de se mouvoir, de ployer, d’avoir des fêlures dans la voix : « Vous y serez ma fille », répond-il à Iphigénie, lorsqu’elle demande si son « heureuse famille », sera présente lors du sacrifice que doit accomplir Calchas.

Achille, ce soir-là, était joué, parfaitement, par un Pierric Plathier vulnérable, perturbé par ce qu’il devine des menaces.

Face à eux, Ulysse, Sharif Andoura, Ulysse sans état d’âme, au début. Pas le choix. Pas de question à se poser. Mais il acceptera le dénouement…

Arcas, Thierry Paret, tient parfaitement sa partition, comme le font Astrid Bayiha, Doris, Aegine, Clémentine Vignais, Eurybate, Glenn Marausse.

Anne Cantineau est une Clytemnestre fermement dessinée, avec ce qu’il faut d’autorité au personnage, sans amoindrir la passion maternelle. Brune et dorée, d’essence tragique est l’Eriphile de Chloé Réjon, aussi séduisante que déterminée.

Théâtre de l’Odéon aux Ateliers Berthier, du mardi au samedi à 20h00, le dimanche à 15h00. Relâches les 27 septembre, 11, 25, 31 octobre et 1er novembre. Durée : 2h15 sans entracte.

Tél : 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu