Jacques Nichet, la discrétion et l’audace

Metteur en scène, directeur de grandes institutions, il s’est éteint des suites d’une longue maladie. Il avait 77 ans. Il laisse une très forte empreinte.

Il aimait la même histoire que celle que Jean-Louis Trintignant adore raconter dans ses spectacles. Jacques Nichet, lui, en avait fait la chute de sa leçon inaugurale au Collège de France (chaire de création artistique, 2009-2010). Il aimait dire, divertir. Il aimait les ellipses : « Un jour, un homme vint trouver le directeur d’un cirque et lui demanda si par hasard il n’avait pas besoin d’un imitateur d’oiseau. « Non », répondit le directeur du cirque. Alors l’homme s’envola à tire d’aile par la fenêtre. »

Jacques Nichet s’est envolé. Il s’est éteint le 29 juillet, vaincu par une longue maladie qu’il avait traitée avec distance, sinon indifférence. Il s’y était abandonné, comme las, hanté d’un insondable chagrin. De nos jours, 77 ans, cela sonne jeune, surtout pour un artiste toujours curieux de lectures et de découvertes.

Les circonstances font que l’on a connu le tout jeune agrégé de Lettres Classiques qui, à peine sorti de l’Ecole Normale supérieure, avait choisi d’enseigner au Centre Universitaire Expérimental de Vincennes, cette fac née en plein bois, quelques mois après mai 1968. On disait que seuls des professeurs qui n’avaient plus rien à prouver s’aventuraient dans … l’expérience…Michel Deguy, Michel Foucault, Lucette Finas, la très jeune et très brillante Hélène Cixous –une thèse remarquée sur James Joyce et un roman prix Médicis, Dedans.

Il y avait aussi le jeune Nichet, déjà épris de théâtre puisqu’il avait monté Les Grenouilles d’Aristophane du temps de l’ENS, avec une compagnie qui se nommait déjà L’Aquarium. Il allait faire comme les étudiants : tracer sa route à travers bois, pour aller de la fac à la Cartoucherie où régnaient déjà Jean-Marie Serreau et le Théâtre de la Tempête, Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil. Et ce fut, en 1973, l’installation du Théâtre de l’Aquarium avec deux artistes comme lui très épris de haute littérature, audacieux et fédérateurs : Jean-Louis Benoit et Didier Bezace.

Des années durant, l’Aquarium fut marqué par ce trio très entreprenant, soucieux de son temps et qui dépasse très vite les frontières de l’ancien terrain militaire : Les Marchands de ville à Paris, monté tandis que les travaux se déploient à la Cartoucherie, puis, en 1976, un spectacle en lien avec le combat des « Lip », à Besançon, La jeune lune tient la vieille lune toute une nuit dans ses bras.

En 1986, il fut nommé à la direction du centre dramatique national de région de Languedoc-Roussillon : le théâtre des Treize Vents à Montpellier. Il monte Lorca et Calderon de la Barca, Diderot et Marivaux, mais aussi Euripide, Synge, Eduardo De Filippo, Javier Tomeo, Bernard-Marie Koltès et son cher Serge Valletti.

Certains de ces spectacles sont présentés ensuite en tournée dans toute la France et à Paris, Théâtre de la Ville, Colline, ou la ceinture parisienne.  Aux Gémeaux de Sceaux, à la Commune d’Aubervilliers, plus tard. Il y créera même des spectacles, les dernières années.

Juillet 1996 marque une grande date : il met en scène, pour la cour d’Honneur du palais des Papes d’Avignon La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire. Un spectacle magistral, inoubliable donné sous la direction de Bernard Faivre d’Arcier.

En octobre 1998, Jacques Nichet prend la direction du Théâtre national de Toulouse Midi-Pyrénées, dans un bâtiment tout neuf. Il inaugure ce nouveau chapitre avec Serge Valletti, montant de nombreux contemporains : Keene, Koltès, Alexievitch dont il crée Les Cercueils de zinc. Il met également en scène Nicolaï Erdman et Dario Fo, un homme de théâtre qui correspond à ses préoccupations et à son goût d’un théâtre aussi actif que poétique.

Dans chacun des choix de Jacques Nichet, dans chacune de ses mises en scène, on retrouve une délicatesse et une acuité, une profondeur et un souci du bonheur du public. Il est très fin, très subtil, très aigu, mais il ne s’enferme jamais : il pense au spectateur, il pense à transmettre, à émouvoir et à éveiller. « J’évite avant tout d’éblouir le public, ce serait l’aveugler : je souhaite lui suggérer ce qui se joue dans l’ombre » disait-il encore dans la première leçon au Collège de France.

A 65 ans, en 2007, il avait quitté l’institution. Avec détermination, lucidité, sens du partage et des plus jeunes générations. Il y aurait beaucoup à raconter sur cet homme qui était un artiste ultra-sensible et avait un grand sens du service public.

Jusqu’à ces derniers mois, il avait monté des spectacles. On n’oublie pas, en 2009, sa sublime version de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, à la Commune. Il avait même dit des textes de Leopardi. Il était revenu au TNT en 2018 pour diriger Thierry Bosc dans Compagnie de Samuel Beckett.

Une cérémonie d’adieux a lieu le 1er août, à 9h00, en la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse. L’inhumation aura lieu le lendemain, 2 août, au vieux cimetière de Béziers, à 13h00. Une soirée d’hommage sera organisée plus tard à Paris.

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