Jean-Loup Dabadie, sur les ailes du temps

Homme de plume doué pour le roman, la chanson, les scénarios, les dialogues, les pièces de théâtre, homme d’amitié et d’amour, rayonnant et secret pourtant, Académicien français, il s’est éteint dimanche. Il avait 81 ans.

Les temps sont à la peine. Après Michel Piccoli qui savourait les mots du brillant dialoguiste dans « Vincent, François, Paul et les autres » diffusé ce soir en hommage au comédien, c’est un être brillant, chaleureux et réservé, qui s’éteint. Une lumière qui va nous manquer. Il n’était qu’écriture, Jean-Loup Dabadie. Romans, pièces de théâtre, adaptations, scénarios, dialogues, chansons, ce jeune homme ultra doué et précoce n’aura rien fait d’autre dans sa vie qu’écrire, aimer, partager.

Avec l’accord du « Figaro », nous publions ici un ancien article composé lorsqu’il reçut le prix Henri-Jeanson de la Société des auteurs pour l’ensemble de son oeuvre. Aperçu d’un grand caractère, sans superbe aucune, fraternel, profond, réservé.

Oeil clair et amical dans le soleil. Ne distillant jamais autre chose que la joie pour les autres. DR.

Dabadie, les lauriers de la jeunesse

C’est un appartement qui ressemble à une maison et dans cette maison, il y a toujours du soleil. Qu’il pleuve ou qu’il vente, on s’y réchauffe, on s’y attarde, on y contemple le ciel de Paris et les livres, les photos, les souvenirs, les tissus moelleux, les coloris enjoués. On y sirote son café comme si l’on était un vieux chat de la famille ici, c’est un chien le patron on est accueilli par les radieux sourires des passagers de cette jolie roulotte, Véronique et Jean-Loup Dabadie. Elle est solaire, il serait plus Pierrot lunaire, intérieurement, si le physique, mince, bronzé, cheveux blancs, iris clair évoque le joueur de tennis qu’il est. « Si tu prends de l’âge, tiens-toi droit, fils », lui disait son ami Yves Montand. Volubile et pourtant taciturne. Livrant des éclats de sa vie, célébrant ses trois enfants qu’il aime, admire, mais réservé profondément, tellement pudique Jean-Loup Dabadie.

Il y a quelque chose dans ce regard, sans doute, qui traduit le secret du coeur, qui trahit cette hypersensibilité qui fait que tout le touche et souvent le comble, mais parfois l’agresse, le blesse. Il est ainsi Jean-Loup Dabadie. C’est bien la peine d’être devenu grand ! Mais n’est-ce pas tout le problème ? L’enfant ne s’est jamais tu en lui, rien n’a pu venir à bout des étonnements premiers et des chagrins terribles. Il souffre encore, il le dit, du divorce de ses parents. Et pourtant ses parents sont toujours là ce qui est un joli cadeau du ciel. Maddalena et ses yeux bleus et Marcel, qui déjà écrivait des chansons de « sa belle écriture » que ce bon fils retrouve, intacte, dans les lettres que son père, aujourd’hui, lui adresse. Des presque jumeaux par les astres. Il aime à le souligner, Dabadie, car il aime les signes, cet écrivain délié : elle est née le 9 février 1914, il est né le 10 février 1913. Cela pourrait être le début d’une histoire à la Thomas Mann. Très aimants pour ce fils unique et rêveur qui est plus qu’un très bon élève.

Un prodige qui réussit son premier bac à 14 ans avec mention bien. « C’est la première fois que j’ai eu mon nom dans le journal », dit-il, se moquant un peu de lui-même, ainsi qu’il ne déteste pas le faire. N’empêche. « L’idéal de toute la famille était que je devienne prof de lettres », ajoute-t-il. Classes préparatoires. Encore faut-il y être admis, en ce temps-là. Il a tout de même trois ans d’avance, Jean-Loup. « Je crois que se situe là le plus grand exploit intellectuel de ma jeunesse », dit aujourd’hui celui que l’on avait présenté au concours général de thème latin et de version grecque vous voyez le genre ? en se souvenant du petit cagibi de la rue Raynouard dans lequel jour et nuit il étudiait. Il passe de Janson-de-Sailly à Louis-le-Grand avec de terribles forts en tout qui sont beaucoup plus grands que lui… Sur les trente-quatre d’hypokhâgne, on ne retient que les sept meilleurs. Il est le sixième. « Et puis un jour, je m’en souviens comme si c’était hier, il faisait un froid de gueux, c’était à La Chope parisienne, en face du Balzar. J’ai dit à ma mère : « Maman, j’ai le cafard… » et elle a compris. »

L’été suivant, à l’île de Ré, il écrit son premier roman. « Maman l’a tapé avec un carbone, on l’a envoyé chez Grasset. » Et commence pour lui la plus cruelle des épreuves, de celles qui vous trempent pour jamais. Hervé Bazin lui répond. Qui lui dit que son livre est très bon et qu’ils vont se voir et qu’il va être publié et le rêve se développe. Mais débute l’attente atroce… des semaines, des délais, des reports. Et puis un jour après des mois de silence, une lettre. « Une nouvelle lecture de votre manuscrit m’a rendu plus circonspect. Il est encore trop plein de scories et de naïvetés. Inutile de penser à y retravailler maintenant, nous y perdrions tous les deux notre temps », pour citer en substance un texte dont Jean-Loup Dabadie n’a jamais oublié une virgule. Il aurait pu en mourir. Il a brûlé ce manuscrit. C’est une partie de lui-même qui a été carbonisé et lui qui est si calme, si maître de ses relations aux autres, si poli, il pourrait s’énerver encore, l’indignation n’est jamais retombée.

Il s’est peu à peu repris. C’est aujourd’hui seulement qu’il en parle. Sans doute parce que Véronique a entrepris d’élaborer un livre d’entretiens et qu’avec elle il ose dire des choses longtemps enfouies (*) et que le temps, s’il n’apaise pas, installe pourtant cette distance qui, fût-elle illusoire, permet la parole. Bizarre, la vie. Il a écrit d’autres livres, tâté du journalisme, connu le succès, dans le roman (Les Yeux secs), les sketches (Monsieur Ramirez, c’est lui et des dizaines d’autres), le cinéma (Les Choses de la vie, César et Rosalie de Sautet et des dizaines d’autres), la chanson (Reggiani, Julien Clerc, Polnareff), le théâtre (La Famille écarlate), les adaptations (Madame Marguerite). Pas d’expérience qui compte devant la page blanche. Il écrit à la main. Pour les scénarios, il a son système de flèches et de collage, ses couleurs. Il vient de passer deux ans dans le monde de La vérité si je mens. Il a rendu son scénario. Il est dans ses petits souliers. Vraiment.

« Finalement, dit-il, ce que j’admire le plus, c’est la sculpture. Très jeune j’ai eu un coup de foudre pour L’Enlèvement de Proserpine du Bernin à la villa Borghese, à Rome. J’aimerais savoir sculpter. C’est ce que j’ai tenté de faire dans Max et les ferrailleurs, avec Michel Piccoli. » Et d’enchaîner sur une de ses belles histoires de théâtre. A la veille de la dernière de Deux sur la balançoire, il donne des notes à Nicole Garcia et Jean-Louis Trintignant. « Eh bien, le lendemain, dimanche en matinée, ils ont tenu compte de ce que j’avais dit. Ils savaient qu’ils ne rejoueraient jamais la pièce. »

(*) Conversation avec Jean-Loup Dabadie, à paraître au Cherche-Midi.

L’héritier

Jean-Loup Dabadie n’a pas connu Henri Jeanson. Sur le carton d’invitation de la SACD, il y a deux photos de l’un, deux photos de l’autre. Ils rient. Ils ne se ressemblent que par leur talent, la grâce d’une encre scintillante, d’une écriture vive et fluide, du sens de la répartie, de la réplique et du dialogue.

Laurent Heynemann, président de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, remettra lundi le prix Henri-Jeanson 2004 à l’ami Dabadie, en présence de Pascal Rogard, directeur général, de Francis Girod et de tous ses amis et admirateurs. Une distinction née du testament de Claude Marcy pour que les droits de son mari Henri Jeanson abondent un fonds d’action sociale et dotent un prix.

Jean-Loup Dabadie a reçu beaucoup de prix dans sa vie, mais les deux plus beaux sont le prix Raymond-Devos (mars 2004, mécéné par François Pinault) et le prix Henri-Jeanson. Avec eux, il est l’enfant éternel.

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