Jean-Pierre Bodin, la poésie du forestier

Au Théâtre de la Reine Blanche, il raconte la triste histoire d’un homme qui aimait les arbres. A ses côtés, le violon d’Alexandrine Brisson et les leçons un peu rigides de Christophe Dejours. 

Jean-Pierre Bodin est un poète avant d’être un homme de théâtre. Il vient de la grande galaxie de Jean-Louis Hourdin -qui a d’ailleurs participé à ce travail, du temps, où, avec le regretté  Robert Gironès, le chef de troupe officiait en Poitou-Charentes.

C’était il y a trente-cinq ans…Jean-Pierre Bodin entre dans ce groupe, actif, aimant la belle littérature et se souciant de politique. Régisseur, comédien, dix années durant, il se fond dans la troupe.

Et puis, en 1994, il crée, avec le grand François Chattot, un spectacle extraordinaire et inoubliable, aussi insolite que son titre, Le Banquet de la Sainte-Cécile…

Depuis, Jean-Pierre Bodin n’a jamais cessé de nous proposer des rendez-vous insolites. Des spectacles marquants. Du vrai théâtre, mais avec toujours un fond de réflexion sur la société. Mais des spectacles où le jeu, la joie, le partage l’emportaient toujours.

C’est le cas avec Chemise propre et souliers vernis, il y a dix ans, c’est le cas avec Les Gravats, spectacle épatant et profond vu à Avignon, il y a deux étés.

C’est un peu moins le cas avec L’Entrée en résistance. D’ailleurs, ce n’est pas un titre pour lui, d’autant plus que ses amis artistes ont toujours été, comme lui, sur la brèche.

Il y a pourtant beaucoup de sa propre poésie, de sa présence généreuse dans ce moment qui tient plus du récit et de la conférence que d’un spectacle de théâtre.

Sur le plateau de la Reine Blanche, deux écrans, l’un très grand, l’autre moins large, que le comédien va manipuler, déplacer à plusieurs reprises. Des images vidéo, belles et touchantes, sont continûment projetées. La dominante est à la forêt et à la forêt sous la neige.

Il y a aussi trois étranges candélabres, imposants. Comme de pauvres troncs d’arbres prisonniers…transformés en luminaires…Franchement, on ne comprend pas ce que veulent nous dire ces objets….

Il y a peu de monde sur le plateau, mais beaucoup de personnes en amont et en coulisses. Images de Gyomh, travail d’Alexandrine Brisson, qui joue aussi son violon et un chef opérateur, Pierre Befve.

Lumières, régie, costumes, tout ici est pensé précisément.

Mais pour l’essentiel le spectacle est l’alternance du récit de Jean-Pierre Bodin qui raconte sa vie de forestier, et c’est aussi touchant que passionnant. En fait, il s’inspire d’un fait divers tragique, le suicide d’un homme de la forêt, écrasé par les exigences des ingénieurs…Une vraie histoire.

Médecin du travail, formé comme psychiatre, psychanalyste, spécialiste de la souffrance au travail, auteur de livres et d’articles, Christophe Dejours avait été appelé à analyser le cas de ce malheureux forestier.

Certainement un impeccable savant. Mais pas un homme susceptible de captiver. Jean-Pierre Bodin est trop timide avec lui. Il n’a rien osé dire.

Mais d’une part Dejours ne porte pas la voix et malgré le micro il demeure dans un ton de confidence qui ne convient absolument pas.

Articuler, se faire entendre, partager sans coquetterie, est un métier qui n’est pas le sien. On ne va pas au théâtre pour que l’on nous fasse la leçon. La souffrance au travail, on connaît et s’il faut faire passer les cas, les analyses, les réflexions par la scène, encore faut-il trouver le juste ton et un peu de distance spirituelle.

C’est dommage car l’on sait la sincérité de Jean-Pierre Bodin, on sait sa manière légère apparemment d’aborder le plus grave et de transmettre, par l’émotion et la délicatesse, les sentiments et les vérités.

La conférence du Docteur Dejours, aussi exacte soit-elle, est d’un profond ennui. Ce n’est pas la musique qui peut éclairer les humeurs de satisfaction que le scientifique distille.

Du théâtre, on voudrait du théâtre !  Pas que l’on s’adresse à nous comme si nous étions des abrutis, indifférents à la société actuelle. Si c’était le cas, on n’irait pas au théâtre. Et encore moins applaudir Jean-Pierre Bodin.

 

Théâtre de la Reine Blanche, du mercredi au samedi à 20h45, dimanche à 16h00. Durée : 1h40. Tél : 01 42 05 47 31. Jusqu’au 5 janvier.