« Le Mystère Sunny », un duel

Sur un mode de roman noir, Alain Teulié nous replonge dans l’affaire Claus von Bülow. Mise en scène par Dominique Guillo, la pièce réunit deux comédiens virtuoses qui savourent leur affrontement, Patrick Chesnais et Nicolas Briançon.

On est un soir de Noël à New York, un immense sapin en témoigne, coincé dans un angle de la pièce monumentale. La nuit est tombée. Par la baie vitrée panoramique qui s’ouvre sur un balcon, on découvre les buildings célèbres de la ville. Les Twin Towers sont encore debout. Des bouffées de vapeur s’échappent, çà et là. La neige tourbillonnera bientôt en flocons légers.  

C’est un bureau qui dit la réussite, avec tableaux à la mode et bar bien fourni. Un magistral décor de Jean Haas, avec de belles lumières de Laurent Béal. L’homme qui y travaille va s’en aller. Il doit assister à un spectacle. Mais voici que se présente un visiteur qu’il n’attendait pas.

L’homme du bureau est l’avocat Alan Dershowitz : Nicolas Briançon, affublé d’une perruque qui évoque les cheveux bouclés serré de l’homme de loi, dans l’âge de sa célébrité (il vit toujours, il a 85 ans et il a moins de cheveux). L’homme qui s’incruste curieusement, en ce soir de Noël, est celui qu’il avait fait acquitter, dix ans auparavant, Claus von Bülow. Patrick Chesnais, haute silhouette, impose immédiatement quelque chose d’inquiétant et de las. Dans les costumes de Jean-Daniel Vuillermoz, les deux personnages sont tout à fait dans l’atmosphère des années quatre-vingt-dix.

Que veut Von Bülow ? Il avait été accusé de deux tentatives de meurtre de sa femme milliardaire. Celle que l’on surnommait Sunny et qui donne son titre à la pièce : Le Mystère Sunny. Alors que parlent les deux hommes, elle n’est pas morte : elle est dans le coma, quelque part dans la grande ville. Elle est dans un état végétatif depuis quinze ans. Elle y demeurera vingt-huit ans. On a dit que, parfois, ses yeux s’ouvraient, et qu’elle pleurait…

Condamné, Von Bülow avait fait appel et trouvé en Dershowitz un stratège puissant qui s’était entouré d’une équipe de choc. Un séisme que cet acquittement. Lorsque l’avocat revint dans un livre sur l’affaire, il laissa entendre qu’il pensait Von Bülow coupable…Seule Cosima, la fille de Sunny et de Claus, croyait en l’innocence de son père.

Tout cela, le spectateur de 2023, à Paris, au Théâtre Montparnasse, s’en souvient confusément et cela électrise la représentation. La pièce d’Alain Teulié est bien construite, bien écrite. Les répliques sonnent juste et le metteur en scène Dominique Guillo donne un juste mouvement à cet affrontement. Bülow est un provocateur et en même temps, c’est un homme vaincu. Patrick Chesnais est fascinant. On devine qu’il prend grand plaisir à jouer ce scélérat qui a vécu jusqu’en 2019. Un homme compliqué, complexé sans doute, complexe. Un hâbleur, un séducteur, qui passe, furtivement, reprendre une conversation avec un homme qui sait que c’est grâce à cette affaire qu’il a connu une carrière brillante. Et qui, au fond de lui, est persuadé de sa culpabilité mais aimerait bien que Von Bülow avoue enfin…Nicolas Briançon est remarquable, vif et nuancé, se tenant à distance, mais, en même temps, passant à l’attaque. Pugnace, tenace, ne se laissant jamais déborder par l’émotion qui, paradoxalement, affaiblit l’autre. Un grand face-à-face.

Qui aime les grands duels entre artistes virtuoses sera servi ! Le propos, par-delà les personnages, c’est le mystère de l’homme, de l’esprit humain, de l’âme.

Théâtre Montparnasse, du mercredi au samedi à 21h00, en matinée le samedi à 17h30 et le dimanche à 15h30. Durée : 1h30. Relâches exceptionnelles les 4, 8, 15 octobre.

Tél : 01 43 22 77 74

www.theatremontparnasse.com

 Places à 10€ pour les moins de 26 ans, selon les disponibilités, les mercredi et jeudi.