Au Théâtre de la Reine Blanche, dans la petite salle, onze élèves du Studio de formation théâtrale de Vitry, jouent, sous la direction forte du comédien exceptionnel qu’est Matthieu Marie, Portrait d’une femme de Michel Vinaver, qui s’est éteint il y a tout juste un an.
Il faudrait avoir le temps d’analyser ici dans la précision, ce travail remarquable. C’est une mise en scène fluide et vive, une direction d’acteurs très précise.
C’est un spectacle, qui ne s’est donné que pour quelques représentations dans la petite salle du Théâtre de la Reine Blanche. La dernière a lieu ce soir.
Il est rare de pouvoir applaudir un ensemble si convaincant. Mai-Juin est la saison de la jeunesse, au théâtre. Mais avouons que, pour anonymes soient-ils, on aimerait saluer chacun des onze, avec des mots précis.
Matthieu Marie, interprète au spectre très large, dirige les onze. Il explique, et dans un texte qu’il lit juste avant le début du spectacle, un texte. Il y en a un peu plus dans un dossier accessible sur internet : « Il y a un an, en avril 2022, ayant fait la connaissance d’un groupe de 11 élèves comédiens du Studio de formation théâtrale de Vitry, j’ai mis en scène avec eux Portrait d’une femme. Un chœur, donc. Et l’évidence de la jeunesse. Il fallait
la grâce des commencements pour laisser paraître et s’épanouir la subtile
lumière diffractée de ce poème qui, par la rigueur de la polyphonie et les
secousses du montage parvient à dessiner le portrait que le procès, 30 ans plus
tôt, avait échoué à faire : celui plein d’énigme d’une femme – et d’une France – sous l’occupation.
A l’origine il y a la France de l’après-guerre, qui juge une femme, dont
l’adolescence dans la guerre a fait qu’elle ne peut pas ne pas être coupable.
N’en disons pas plus : ce serait risquer de trahir la nature de la pièce, qui ne fait
pas le procès du procès mais donne une seconde vie à l’événement, et
ressuscite avec lui la femme qui en est le cœur. Une femme en France en 1953.
Son exigeante et fragile liberté.
Pas de « décor ». Le texte, son titre nous l’indique, est une peinture. Et la
mémoire comme le rêve joue, et se joue des lieux et des époques : il faut lui
laisser le champ libre. Rien qui arrête le flux. Et que les mots qui voulaient juger
reprennent place, avec l’ironie de l’allégresse, dans le mouvement de la vie.
Pas d’autre musique, non plus, que celle des mots, des gestes et des pas.
Dans notre temps troublé et rendu plus indéchiffrable encore par le bruit
assourdissant des fausses certitudes, puisse la parole exacte et paradoxale de
ce poète des temps modernes nous éclairer et nous surprendre.
Quelques jours avant sa mort, Michel Vinaver avait assisté à une présentation
de ce travail, il l’avait aimé, il avait souhaité qu’il puisse être vu encore.
Nous continuons… »
Nous avons été frappé par l’harmonie de ce groupe de très jeunes interprètes. Le texte de Michel Vinaver procède par petites touches, des fragments recomposés d’après la longue étude des comptes-rendus du procès de Pauline Dubuisson. Un portrait qui surgit peu à peu, plus près d’un certain pointillisme que de l’impressionnisme. Ici, Pauline Dubuisson se nomme Sophie Auzanneau. Lou Dubernat lui prête sa personnalité séduisante. Le « personnage » est montré sous toutes ses facettes par Michel Vinaver. Il ne s’agit en rien de la réhabilitation d’une femme qui aurait été malmenée par la justice. Mais d’une quête, d’une reconstitution, d’un puzzle. On ne voit pas surgir une victime, mais un être complexe, une très jeune femme qui perturbe chacun, et qui est sans doute elle-même assez intérieurement bousculée.
Ici, chacun défend son personnage (référent d’une réalité revivifiée) avec finesse et énergie. Cela donne une « pièce » faite de « pièces » et qui accroche l’attention. C’est vif, intelligemment chorégraphié, et chaque jeune fait preuve, dans la réserve imposée par l’intelligent metteur en scène, de qualités attachantes.
On ne saurait analyser ici le parcours de chacun (ou les parcours, car certains incarnent plusieurs figures). Mais au moins, voici la distribution.
Sophie Auzanneau : Lou Dubernat
Xavier Bergeret : Arthur Boucheny
Le président de la cour d’assises de Paris : Émile Rigaud
L’avocate générale/Claudette : Kessy Huebi-Martel
Maître Lubet, avocate de la partie civile/Francine : Malou Vezon
Maître Cancé, avocate de la défense : Inès Fakhet
Monsieur Auzanneau/Gerbier/ docteur Schlessinger : Alexandre Bécourt
Madame Auzanneau : Clémence Henry
Madame Guibot, logeuse : Joana Rebelo
Colonna, enseignant/Cornaille, étudiant : Julien Ottavi
Docteur Haudebourg, expert/Lachaud, étudiant : Grégory Gilles.
Allez-y ce soir. Il restera toujours une petite place. Et nous en reparlerons et en dirons plus.
Reine Blanche, 01 40 05 06 96.