Marie NDiaye, ardent lyrisme

                                                                         

Stanislas Nordey signe la mise en scène de Berlin mon garçon pièce composée sur commande, avec un thème suggéré, le terrorisme. Mais l’auteure, admirablement servie par les interprètes, a trouvé sa liberté.

Emmanuel Clolus a imaginé une scénographie pure et éloquente, subtile. De grandes photographies en noir et blanc sont projetées au fond du grand plateau de l’Odéon-6ème. On passe de différents lieux de Berlin où séjourne Marina (Hélène Alexandridis) à Chinon, dans la librairie qu’elle a fondée avec son mari Lenny (Laurent Sauvage). On fait aussi la connaissance d’Esther, la belle-mère (Annie Mercier). A Berlin, Rüdiger (Claude Duparfait), le logeur de Marina est également son guide, son conseiller. Elle est partie à sa recherche de son fils, envolé, disparu dans la grande ville, acquis au terrorisme, radicalisé, rêvant bombes et destructions.

On croise deux jeunes femmes. Charlotte (Dea Liane), la petite amie fugitif,  une cliente de la librairie (Sophie Mihran). Apparitions brèves, mais fortes.

Le personnage central, ici, qui cristallise la force de Berlin, la puissance du temps qui passe, les porosités du monde, les transformations des sociétés, est l’immeuble où vit Rüdiger, homme pas très riche, un peu décalé par rapport au nouveau Berlin. Cet immeuble très célèbre (Marie NDiaye y a vécu) est la copie de la Cité Radieuse de Corbusier. Il se nomme Corbusierhaus et date de 1957. Il était habité alors par des gens modestes. Il n’en reste pas, presque pas. Rüdiger est là, esseulé. « Démodé » dit même l’auteur. Et sa petite veste étriquée, au col de fourrure, dit bien cela.

Hélène Alexandridis, Marina dans la grande ville. Photographie de Jean-Louis Fernandez. DR.

On ne racontera pas ici le fil de l’intrigue. On fera une légère réserve : on aurait aimé que Marie NDiaye aille plus loin. Nous propose une résolution puissante. Ici, tout demeure un peu évanescent. Et c’est un peu dommage.

Demeure un superbe travail : équipe artistique de haut talent. Stanislas Nordey est un maître dans l’orchestration du texte. C’est impeccable. Et les interprètes sont magnifiques. Hélène Alexandridis est admirable dans la précision lyrique sans excès, comme si elle « parlait » le Marie NDiaye par cœur, par le cœur. Comme si cela était sa langue. Nous n’avons pas vu Les Serpents de la même auteure, mise en scène de Jacques Vincey, qu’elle a joué avec Bénédicte Cerutti et Tiphaine Raffier. Mais les spectateurs étaient éblouis.
Avec elle, souvent, donc, Claude Duparfait, toujours ultra-sensible, précis, profond. Rüdiger le dit : « Je suis un homme sensible et bon ». Mais le personnage est également discrètement ambivalent, insaisissable…

Laurent Sauvage, Hélène Alexandridis, Claude Duparfait. Photographe de Jean-Louis Fernandez. DR.

Laurent Sauvage, avec lui aussi, sa voix précieuse, son souffle lyrique et personnel est remarquable. La grande Annie Mercier, impressionnante, fascine et séduit. Les deux jeunes comédiennes sont belles, personnelles, très intéressantes : Dea Liane et Sophie Mihran sont excellemment distribuées.

Bref, ajoutons costumes, lumières, déplacements, son, vidéo, tout ici nous est offert avec une évidence idéale. La matière essentielle, la langue de Marie NDiaye, est déployée avec intelligence et sensibilité.

Odéon 6ème jusqu’au 27 juin. Durée : 1h40. Samedi 15h00 et 20h00. Dimanche 15h00. Tél : 01 44 85 40 40.

www.theatre-odeon.eu

Puis à Strasbourg, au TNS, du 22 février au 6 mars 2022.

Le texte est publié par Gallimard. 2019.