« Mon bel animal », du côté de l’insoutenable

Présentée trois soirs seulement dans la salle Charlie Parker de la Grande Halle de La Villette, l’adaptation, par Ivo van Hove, du livre de Marieke Lucas Rijneveld, met le spectateur face à une cascade de scènes sexuelles violentes. Cela pose la question des transferts, d’un livre à un plateau.

Des dizaines de personnes ont depuis longtemps préféré s’éclipser, profitant des noirs ou des moments moins éclairés. On les comprend. On a le droit de ne pas avoir la froideur qui ferait que ce qui se passe sur le plateau, ce qui se raconte, ne toucherait pas. Certains êtres sont affectés par ce que déploie violemment Marieke Lucas Rijneveld  dans son livre intitulé en langue française, Mon bel animal. Ce que déploie l’écrivain et ce que décuple la représentation, telle que l’a voulue Ivo van Hove.

La représentation (2h20 en tout) est bien avancée, lorsque quelques personnes partent à leur tour. Mais elles sont cueillies par Hans Kesting, protagoniste du spectacle, le narrateur, dans le livre. Il est en avant-scène, il grogne, se meut agressivement, manifeste à l’adresse de ceux et celles qui s’éclipsent.

Pas très élégant, venant d’un des plus grands des artistes des scènes européennes. C’est même moche et cela traduit, très certainement, son propre malaise de comédien …. Il devrait demander à Freud, l’un des personnages de la « pièce », de l’éclairer sur cette agressivité à l’égard d’un public qui a le droit de ne pas connaître le terrible « roman » et de n’avoir pas anticipé cette transposition qui suffoque les regards, les sensibilités, les raisons.

On ne peut s’interdire de penser qu’il y aurait eu d’autres manières de transposer les scènes sexuelles violentes qui sont la trame du « roman ». Il y aurait d’autres manières de « figurer » la cascade de coïts subis, de pantalons baissés, de culottes arrachées, de fesses à l’air, de mictions, de branlettes, de frustrations explosives, etc…

Lorsqu’on lit un livre, on peut s’interrompre. On peut ne pas poursuivre.  Ici, on est obligé de voir ou de savoir. Il y a comme un pervers plaisir du metteur en scène si policé en société, qui vient saluer à la fin, frêle, avec son air d’éternel petit garçon. Jan Versweyveld, scénographie consubstantiel aux recherches d’Ivo van Hove, et responsable des lumières, lui aussi, salue à la fin.

Il a opté pour un immense champ de blé moissonné, doré et heureux lorsqu’on le découvre, champ encadré d’un ruban très large de vidéo qui diffuse des circulations de cieux heureux, avant un épouvantable orage. Pluie en averses ou tourbillons, paille humide, bassins, petit trampoline, etc.

Dans cet espace, on verra passer –et parler- Sigmund Freud, Adolf Hitler, qui sont interprétés par le comédien qui incarne le père, éleveur de bétail, de la jeune fille Meisje : Bart Slegers. On découvre, circulant sur son vélomoteur, un jeune homme qui pourrait être l’amoureux de l’âge de Meisje, le fils de l’abuseur, le très bon jeune Minne Koole. On observe, coincée à jardin, Katelijne Damen, dans deux partitions terribles, éprouvantes jusqu’à l’obscénité, épouse et mère de l’homme par qui vient le mal et la destruction. On l’appelle Kurt. Il est vétérinaire. C’est l’immense Hans Kesting qui est le vétérinaire, l’ogre qui se fait dissoudre par ses pulsions sans frein, cède à tout au motif qu’il serait en état d’amour. Il a quarante-neuf ans.

La jeune fille, elle a quatorze ans dans le livre, c’est une éblouissante jeune interprète, chanteuse et musicienne, Eefje Paddenburg. Elle tient le coup, malgré tout ce qu’on lui demande. Deux heures vingt durant, elle est Meisje, qui rêve de devenir une chanteuse célèbre, qui admire ceux qui sont morts à 27 ans…C’est loin pour elle. Kurt Cobain est son modèle. Cette jeune artiste est hallucinante. Mais quelle épreuve…

Beaucoup de musiques, de chansons, d’airs connus, mais rien qui puisse alléger l’atrocité de ce qui se passe. Et que l’on regarde, deux heures vingt durant. Est-ce par complaisance ?

Salle Charlie-Parker de la Grande Halle de la Villette, à 20h00 ce soir vendredi et à 18h00 demain samedi 30 mars. Durée : 2h20 sans entracte.