Sébastien Kheroufi, sur la grand route

Metteur en scène révélé par une « Antigone » de rupture, il y a quelques mois, ce trentenaire met en scène à la Manufacture des Œillets, une version puissante de « Par les villages », chef-d’œuvre du jeune Peter Handke.

Artiste associé au Théâtre des Quartiers d’Ivry-Centre dramatique national du Val-de-Marne, à la Manufacture des Œillets, Sébastien Kheroufi est un artiste qui, pour le moment a choisi le théâtre pour s’épanouir, s’affirmer, mais dont on devine qu’il saura se déployer sur d’autres médiums. Il est déjà sur tous les fronts : lauréat de la Villa Médicis qu’il s’apprête à rejoindre, célébré dès son premier spectacle public, en juin dernier, à la Cartoucherie. Prolixe, ne craignant pas les représentants et représentantes de la critique, ouvert, très intelligent et hyper-offensif.

Etre la coqueluche du petit monde de ceux et celles qui régentent la fragile notoriété des planches, ne le gêne pas. Il en sourit en sous cape, on en est certain. Qui, quoi, comment, où, pourquoi et maintenant ? Et maman et papa ? Il a l’habitude et sert sans agacement ni superbe les réponses.

Il est saisissant et le premier mot qui vient lorsque commence la représentation de Par les villages de Peter Handke, dans la traduction de Georges-Arthur Goldschmidt (Gallimard), vient de ce sentiment. On est saisi. Assis sur des chaises, dans le grand hall de la Manufacture des Œillets, en situation bi-frontale, avec son couloir entre les rangées de sièges qui se font face, on pense à Koltès : c’est ici même, à la Manufacture des Œillets que Chéreau joua lui-même Dans la solitude des champs de coton… Sébastien Kheroufi ne peut pas avoir été là. Un enfant ! Mais il a de la mémoire. Il est curieux, savant, soucieux des héritages.

Deux « personnages » se font face. Ils nous accueillent. Ils nous avertissent du chemin.  Ils sont inscrits dans une forme très archaïque. On est aux sources de la tragédie. Lyes Salem commence. Algérien d’origine, on le connaît pour ses films. Il est Gregor, le frère qui retrouve les paysages et le monde de son enfance, de son adolescence. Face à lui, bientôt, déterminée, puissante, voici Casey, célèbre dans le monde de la musique, du rap en particulier. Elle ouvre fermement le spectacle, elle le fermera, en un monologue impressionnant. La traduction de Georges-Arthur Goldschmidt est précise et belle.

L’on monte ensuite dans la plus petite des deux salles et l’on s’installe face au décor. Une baraque de chantier qui tient lieu de dortoir pour ouvriers. Trois heures durant on retrouve les personnages désormais indissociables de l’histoire même du théâtre, notamment par la mise en scène de Claude Régy et 1983, dans la grande salle de Chaillot, puis, il y a quelques années, dans la cour d’Honneur du palais des Papes, celle de Stanislas Nordey.

Pour la première fois, on a le sentiment de la vie même des protagonistes, comme si Sébastien Kheroufi allait au cœur de l’écriture même, sans chercher aucune posture, aucune complication formelle. La distribution est forte, la manière de mettre en scène puissante, les rythmes excellents. Le metteur en scène a convié des amateurs, habitants de la ville, qui forment un chœur, touchant et attentif.

Lumière, son, musique, déplacements, tout ici est réglé d’une manière claire et ultra-sensible. Sébastien Kheroufi a travaillé en dialogue avec Peter Handke et l’on assiste sans doute à l’avènement le plus pur d’une des très grandes œuvres dramatiques du XXème siècle. Nous en reparlerons plus précisément.

Théâtre des Quartiers d’Ivry, à 16h00 ce dimanche 4 février, à 20h00 le vendredi 9 février, à 18h00 le samedi 10 février, à 16h00 le dimanche 11 février. Durée ; 3h20 sans entracte. Puis au Centre Georges-Pompidou, vendredi 16 et samedi 17 à 20h00, dimanche 18 février à 17h00.

Quartiers d’Ivry : www.theatre-quartiers-ivry.com

Tél : 01 43 90 11 11.