Tchekhov et Bounine, leur Russie

Sous le titre Un jour en été, Patrick Sommier réunit les deux auteurs en scènes brèves et irrésistibles, illuminées par le talent de Christiane Millet, Hervé Briaux, Laurent Manzoni.

Anton Tchekhov, d’accord !  Mais Ivan Bounine ? Avouez que vous le connaissez moins bien…Et pourtant, il fut le premier Russe à recevoir le prix Nobel de Littérature, en 1933. Et il est indissociable de l’auteur des Trois sœurs. Lui-même écrivain, poète et romancier, nouvelliste, il rencontra Tchekhov en 1885. Une amitié profonde les lia jusqu’à la mort du dramaturge le 2 juillet 1904, à Badenweiler. Bounine avait entrepris une biographie de son ami, la laissant inachevée. Il s’était exilé après dix-sept et vécut à Paris jusqu’à sa mort, en 1953.

 Leur alliance littéraire ne fait pas de doute et il est à la fois intelligent et légitime de les lier. Dans les textes qu’a choisis Patrick Sommier, excellent connaisseur de la Russie d’autrefois et d’aujourd’hui, c’est un même esprit qui circule, des personnages qui se ressemblent.

Hervé Briaux et Laurent Manzoni. Photo d’Alejandro Guerrero. DR.

Le metteur en scène, qui fut directeur de la MC93, a traduit les textes avec Michel Parfenov. Il a retenu cinq nouvelles de Tchekhov et une nouvelle de Bounine. Le titre, Un jour en été, renvoie à certains thèmes des nouvelles, mais reprend celui d’un tableau d’Isaac Levitan, l’un des artistes du groupe Sreda, un cercle que fréquentaient également Bounine et Maxime Gorki.

Dans la salle du Poche, tout débute de manière très cocasse, dans une nuit profonde…Ce sont les Egarés. Hervé Briaux et Laurent Manzoni commencent fort ! Vient une dispute intellectuelle oiseuse dans En terre étrangère, puis avec La Sirène, une célébration de la gastronomie russe qui vous donnera faim. Des textes brefs, des croquis, mais d’une grande force car Tchekhov a le sens de l’humain. Les personnages ont immédiatement de l’épaisseur.

On passe à un registre plus romanesque avec La Maison à mezzanine, et à une panique incontrôlable avec Le Fruit du péché. On ne vous dit rien des arguments, car la découverte est à chaque fois délicieuse. Un décor tout simple, table, sièges, déplacés à vue par les interprètes eux-mêmes. Des costumes seyants de Malaury Flamand, un travail précis de son, beaucoup de musique, par Lazare Boghossian et des lumières de Juan Cristobal Castillo-Mora.

Entre ses deux partenaires, la très excellente interprète, Christiane Millet. Photo d’Alejandro Guerrero. DR.

C’est très bien dirigé et magistralement joué. Belle, très belle et ultra-sensible, nuancée, Christiane Millet est excellentissime dans des registres différents. On aimerait la voir plus. Qu’elle ait plus à jouer !

Hervé Briaux, sociétaire du Poche qui enchaîne avec son fertile Montaigne, compose avec précision les hommes un peu rigides, toujours sur leurs gardes. Sa voix sonore fait merveille.

Laurent Manzoni, servi par des partitions avantageuses, impose sa merveilleuse personnalité. C’est un très grand comédien, peu vu dans les théâtres privés, mais que l’on applaudit depuis l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg. Il endosse avec subtilité les personnages ridicules, les pathétiques, les cocasses, toujours humain, profond, magnifique.

Une pépite. On s’amuse de bon cœur et l’on sort de là léger, ravi. Admiratif d’un travail aigu et spirituel.

Théâtre de Poche-Montparnasse, du mardi au samedi à 19h00, dimanche à 17h00. Durée : 1h15. Tél : 01 45 44 50 21.

www.theatredepoche-montparnasse.com