Tiago Rodrigues, jeu avec le feu

Aux Bouffes du Nord, sa pièce « Catarina et la beauté de tuer des fascistes » a provoqué dimanche l’agressivité d’une partie du public. Une intolérance que l’auteur, metteur en scène, directeur du festival d’Avignon 2023, a prévu mais n’imaginait peut-être pas à ce point de violence.

Des spectateurs qui partent en dérangeant les autres et en invectivant le comédien, stoïque, au cœur de l’espace des Bouffes du Nord. Des huées, des feuilles de salle chiffonnées en boule et envoyées sur l’interprète d’un député imaginaire, et même des crachats (plutôt reçus par le public du parterre).

On a envie de se lever et de crier aux gens déchaînés : « Mais c’est du théâtre ! ». Bientôt Romeu Costa en aura fini avec ce long monologue final, de près d’une demi-heure, qui clôt après deux heures, le spectacle.

Manipulateur, Tiago Rodrigues a prévu en didascalies les réactions du public. Y-a-t-il dans la salle des meneurs chargés d’allumer les feux du désaccord bruyant ?  Des figurants qui libèrent l’agressivité ?

Le « député » a commencé en disant : « Je veux parler de liberté » et il termine par « Vive le Portugal ». Il ne vacille pas. Le personnage a échappé à la mort programmée puisque la jeune femme chargée de tirer sur lui a refusé de le faire…malgré l’insistance de son entourage, de sa famille. Puisque tuer des fascistes est une tradition familiale, un héritage entretenu depuis des années et des années…

Drôle d’histoire, direz-vous…

Les « personnages » portent les noms des comédiens qui les incarnent. De grands comédiens de langue portugaise, dont on connaît certains comme on connaît le travail de Tiago Rodrigues depuis longtemps.

Antonio Afonso Parra, Antonio Fonseca, Beatriz Maia, Carolina Passos Sousa, Isabel Abreu, Marco Mendonça, Romeu Costa, Rui M.Silva.

Ils sont impressionnants de sincérité, engagés dans la fable étrange que leur a concoctée le directeur du Teatro Nacional de Lisbonne. Créée en septembre 2020 au Centro Cultural Vila Flor de Guimaraes, la pièce a été présentée aussitôt après, en novembre 2020, au Théâtre de la Cité, à Toulouse. A-t-elle fait scandale ?

Elle a été traduite en français par Thomas Resendes et publiée par les Solitaires Intempestifs. Aux Bouffes du Nord, des surtitres très lisibles, en français, en anglais, permettent de suivre les discussions musclées des protagonistes.

Le décor est une maison, édifiée autour d’un chêne-liège. C’est que l’on est à la campagne, au sud du pays. Au cœur d’une suberaie (une forêt de chênes-liège de suber, en latin, liège).

A la scène 1, on le lit dans le livre, on est en 2028. Et tous les personnages se nomment Catarina, à l’exception de l’homme politique, mais son nom Pedro Antunes, n’est pas utilisé.

Chaque mort a droit a son petit chêne-liège. Ils poussent bien, les arbres. Et le feu de l’intolérance aussi. Etrange expérience.

Bouffes du Nord, dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 30 octobre. Tél : 01 46 07 34 50. Durée : 2h30 sans entracte.

www.bouffesdunord.com

A l’affiche des Bouffes du Nord, également : « Choeur des amants » de Tiago Rodrigues et mis en scène par ses soins. Autre forme (pas même une heure). A 18h00 du mardi au samedi et supplémentaire le samedi à 15h00. Avec en alternance David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alma Palacios.