« Why ? » : Peter Brook, l’unique question

Dans un spectacle bref et lumineux, le grand metteur en scène propose, avec Marie-Hélène Estienne qui l’a écrit avec lui et cosigne la mise en scène, une réflexion profonde sur le sens du théâtre.

Plus va le temps, plus Peter Brook semble aller vers l’épure. Il a de tout temps préféré la simplicité, la transparence, sans jamais sacrifier ni la profondeur, ni la densité. Ni le plaisir du jeu. Plus va le temps, plus nous sommes bouleversés par les interrogations de ce maître au regard bleu, intense et doux, qui semble traverser les apparences.
Pour ouvrir ce « journal » un peu particulier que nous allons tenter de tenir loyalement au fil des jours, il n’y avait pas de plus belle opportunité que celle que nous offre Why ?
Pourquoi ? La représentation, donnée en langue anglaise, avec des surtitres très lisibles, commence comme un conte. Aux Bouffes du Nord, il y a un grand tapis, déployé sur le sol, quelques chaises, des lutrins et des portants vides.
Trois comédiens pénètrent dans l’espace. Deux femmes, Hayley Carmichael, Kathryn Hunter, un homme, Marcello Magni. Ils sont tous de noir vêtus. De très grands interprètes que l’on connaît et qui excellent dans des registres très différents. Dans Why ? on va passer de scènes drôles, très drôles, et même cocasses, à l’évocation d’épisodes très cruels de la vie de grands artistes.
Why ? commence donc comme un conte. Un conte des commencements : « On dit qu’au septième jour de la Création, Dieu reçut un message très étrange de ses anges. Les hommes ne savent plus quoi faire de ce don magnifique, le jour de repos. Une chose nouvelle et inattendue est apparue qu’ils nomment : L’Ennui ! » Dieu réfléchit un bon moment, et ainsi il inventa le théâtre…

Un début malicieux, enjoué. Avec un sérieux d’enfants qui jouent, les trois personnages poursuivent leur récit. On les suit, on s’amuse. Il y a beaucoup d’humour dans le développement du raisonnement…Mais un jour, après bien des années, surgit la question : « Why ? », pourquoi ? Mais tout va changer brusquement parce que l’on sait que cette question du sens, des raisons pour lesquelles des êtres engagent toute leur vie dans le théâtre, fut posée par des artistes du XXème siècle dans l’URSS d’alors.
Un homme est plus particulièrement dans la lumière de cette évocation : Meyerhold. Lui qui disait : « Le théâtre, c’est une arme très dangereuse » a eu à subir la violence politique d’un régime qui refusait les grands caractères. Il le savait, le théâtre « est de la dynamite, plus dangereux que le feu, plus dangereux qu’une bombe. »
Le texte est aiguisé, va droit aux épisodes très cruels de la vie de Vsevolod Meyerhold et de sa femme, Zinaïda. Rien d’effet pathétique appuyé : les faits, simplement les faits dans leur atrocité et la puissance des pensées de ces artistes qui nous ont précédé et tant souffert pour défendre leurs idées et leurs visions de poètes.
Les trois comédiens portent ce projet avec une puissance confondante, mais sans rien surligner, jamais. Ils sont de très fortes personnalités.
Marcello Magni, avec on ne sait quoi de candide dans le regard bon, étonné, affronte crânement la vérité, en compagnie de ses camarades. Hayley Carmichael, est plus blonde, très musicale, Kathryn Hunter, est plus brune, sa voix est grave. Elle est impressionnante. Chacun a suivi un très long chemin dans des registres et des univers différents. Leur présence même, la manière dont ils se déplacent, les subtiles nuances de leurs jeux, sont une leçon de théâtre. Une leçon qui dépasse la question même du théâtre. Une leçon sensible, intelligente, ouverte.

Théâtre des Bouffes du Nord
Du mardi au samedi à 20h30, matinée tous les samedis à 15h30
Jusqu’au 13 juillet
Durée 1h15En langue anglaise avec surtitres très lisibles
Tel : 01 46 07 34 50
Une très longue tournée internationale suit, à partir de septembre prochain.

Visuels DR © Pascal Gely

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