Compositeur et chef de chant, il met en scène le texte de l’Italien Stefano Massini consacré à Anne Politkovskaïa, « Femme non-rééducable », avec dix interprètes, instrumentistes, chanteurs et comédiens.
Après Le Dernier voyage de Sindbad de Erri de Luca, il y a deux ans, au 104, après A la périphérie de l’auteure turque Sedef Ecer, dont on avait vu la création au Théâtre Jean-Vilar de Suresnes où Olivier Meyer l’avait programmée, spectacle repris au 104 où Thomas Bellorini est artiste associé aujourd’hui, on découvre donc son nouveau travail.
Il est donné depuis avant-hier dans le cadre du riche et inégal festival « Les Singuliers », un festival qui propose une kyrielle de créations intéressantes dans leur projet, mais parfois décevantes, c’est le jeu.
Dans l’une des salles, on découvre une version singulière d’un texte très souvent mis en scène ou en lecture. Femme non-rééducable est une œuvre puissante, composée juste après la mort tragique de la journaliste russe Anna Politkovskaïa, par l’Italien Stefano Massini.
Dans la traduction de Pietro Pizzuti pour les éditions de l’Arche, Thomas Bellorini a distribué les dix instrumentistes tout autour du plateau. Cinq garçons, cinq filles dont on avait applaudi certains le très beau Dernier voyage de Sindbad. Au fond, sur un écran, une image fixe impressionnante qui semble représenter l’empreinte d’un corps sur un terrain saccagé, un terrain de guerre.
On sait que la femme remarquable qui a inspiré le texte est morte abattue le 7 octobre 2006, dans une cage d’escalier, chez elle, à Moscou, alors qu’elle remontait ses courses, par l’ascenseur, en deux fois.
On ne peut s’interdire, immédiatement, de projeter là, dans cette image, Anna Politkovskaïa, esprit de courage et d’intelligence, lâchement assassinée.
La composition musicale est puissante et constitue la matière neuve de la représentation. On retrouve un propos que l’on connaît, on entend les paroles mêmes de la journaliste audacieuse, lucide et peu à peu saisie de désespoir.
La musique donne une ampleur, une puissance, aux paroles, aux faits rapportés avec une sécheresse volontaire, comme un constat cruel. Ici, il est question principalement de la Tchétchénie et de la mort d’Anna Politkovskaïa
Tour à tour les instrumentistes abandonnent leur chaise pour venir dire, depuis le milieu du plateau, la terrible réalité. Du passé récent mais qui nous concerne toujours au plus près.
La formation est excellente, sonne d’une manière superbe et les personnalités de chacun sont fortes, touchantes, enveloppées des lumières délicates de Victor Arancio et un son bien dosé de Nicolas Roy.
Il n’y a pas de naïve emphase dans le travail de Thomas Bellorini, mais une soumission à la gravité du monde et une réponse par la beauté. La composition est grave, prenante. Les rythmes sont excellents, les fils que l’on suit, fascinants. C’est plus qu’un oratorio, une forme qu’explore Thomas Bellorini depuis des années. Il le fait avec pertinence.
Hugo Henner a collaboré à la naissance de cette pièce à part qui palpite grâce au talent des musiciens-comédiens et qui savent chanter. Un bel ensemble. Saluons (c’est l’ordre de la production) ; François Pérache, Edouard Demanche, Adrien Noblet, Zsuzsanna Varkonyl, Marie Surget, Simon Koukissa, Brenda Clarck, Stanislas Grimbert, Christabel Desbordes, June Van der Esch.
Du très beau travail, original et fidèle à l’esprit de l’écriture, en même temps qu’un hommage à une haute figure de la résistance, éprise de vérité et de justice.
Ce soir, samedi 25 janvier à 19h30. Durée : 1h10. Dans le cadre du festival Les Singuliers. Jusqu’au 26 janvier. Au 104. Tél : 01 53 35 50 00.