Le directeur du Rond-Point signe dans la grande salle la mise en scène de « Kadoc », dirigeant un groupe de comédiens épatants.
Kadoc ? C’est quoi, Kadoc ? L’étrange créature que le malheureux Hervé Schmertz (Yannick Landrein) trouve assis à sa place, chaque matin ? Est-ce l’effet du dossier qui obsède cet employé scrupuleux ? Le dossier Karflex ?
On ne vous le dira pas…Et d’ailleurs, le sait-on à l’issue de cette comédie féroce qui nous plonge dans une petite entreprise d’aujourd’hui, avec sa hiérarchie et ses caractères plus ou moins équilibrés ?
Rémi De Vos qui a exercé de nombreux petits métiers après son bac connaît de l’intérieur le monde du travail. Il aime forcer le trait. Mais, en même temps, ses personnages sont très ressemblants.
Dans un décor sur deux plans de Sophie Perez, en bas le travail, en haut les espaces privés…mais évidemment tout cela bouge, les comédiens vont et viennent tandis que deux serviteurs de scène, intégrés à la représentation, font apparaître et disparaître les meubles. Cela glisse, c’est vif et rapide. Il y a des escaliers pour passer d’un plateau à l’autre ou surgir d’encore plus haut…Rien de réaliste. Et des lumières d’Hervé Coudert pour ajouter à la fantaisie troublante : vrai/pas vrai !
Juliette Chanaud habille le petit monde de Kadoc avec esprit. Dans la même tendance. Et le son ajoute aux rythmes et aux pulsations…
Ils sont six, deux fois trois. Trois hommes qui bossent dans l’entreprise, et leurs trois épouses. Comme c’est une petite maison, tout le monde se connaît…Ou presque !
Présentation : le patron, Wurtz, à qui le grand Jacques Bonnaffé offre sa douceur infinie, son étonnement –qui va grandir…- sa bienveillance paternaliste, mais non dénuée de férocité quand il se sent mal aimé… Il est fin et profond, tour en nuances ce Wurtz selon Bonnaffé. Ce directeur souffre : femme est dans une dépression qui va jusqu’au délire et aux bordées d’injures terribles. Avec son allure aristocratique, Marie-Armelle Deguy donne à Nora une élégance que bousculent ses manières. Sa folie destructrice.
Parmi les employés qui rêvent d’avancement, il y en a un qui ne peut pas souffrir Wurtz : c’est Serge Goulon. Il a l’impatience raide et le désir d’en découdre : Gilles Gaston-Dreyfus joue cela à la perfection. Pas vache pour autant s’il faut aider son collègue, Hervé Schmertz, celui qui se sent menacé, à sonder le dossier Karflex…
Lui aussi a une femme, Marion, qu’incarne avec sa fantaisie et son audace habituelles Anne- Lise Heimburger, épatante face à l’inquiète Madame Schmertz. Cette dernière, Judith, ne sait que faire pour rassurer son époux, l’empêcher de basculer dans un cauchemar dont il ne se réveille qu’avec difficulté…. Caroline Arrouas est grandiose…Quant à Yannick Landrein, il est extraordinaire dans la panique, la terreur. Il traduit ces sentiments de tout son corps en une danse extravagante…Regards, inflexions, ruptures. Du grand art.
Le nœud de l’intrigue, le sommet de rire de la comédie, est une sorte d’apothéose qui repose sur un quiproquo savoureux. N’en disons rien ici.
Jean-Michel Ribes, qui a accueilli ces dernières années, au Rond-Point, de nombreuses mises en scène de pièces de Rémi De Vos, a réuni, pour la création de Kadoc, une distribution brillantissime et chacun, ici, de toute son intelligence, de son audace espiègle, défend merveilleusement bien son personnage, très bien dirigé par un metteur en scène qui sait être précis pour décupler les pouvoirs de l’écriture de De Vos. Dans ce foyer du « rire de résistance » qu’est le Rond-Point, riez sans réserve. Ne résistez pas !
Théâtre du Rond-Point, à 21h00 du mardi au samedi, dimanche à 15h00. Durée : 1h30. Tél : 01 44 95 98 21. Texte publié par Actes Sud Papiers. Jusqu’au 5 avril. Relâches les lundis et les 3 et 29 mars.
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