Comédienne et metteuse en scène, intellectuelle toujours en recherche, elle avait choisi il y a plus de vingt ans de vivre et travailler en Israël. Elle s’est éteinte lundi dernier à Jérusalem.
Irrésistible. Elle était irrésistible. Belle, rieuse, d’une intelligence époustouflante, audacieuse, Saskia Cohen Tanugi est un être dont la lumière longtemps nous éclairera. Elle s’est éteinte dans la nuit de dimanche à lundi dernier. Elle est enterrée à Jérusalem.
Ses débuts furent éclaboussants. Née en 1959, à Tunis ou à Grenoble –Saskia a toujours eu plusieurs vies- elle a été très vite repérée par ses enseignants et a très tôt plongé dans la littérature et le théâtre.
A l’orée des années 80, à Paris, c’est une star ! Dès le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, elle subjugue les professeurs et ses camarades. Et elle entreprend. Saskia Cohen Tanugi, avec sa belle voix chaude subtilement voilée –une voix à l’italienne- et cette manière unique qu’elle avait de dire « Saskîîa », possédait l’art de construire, de convaincre, d’entraîner.
On ne fera pas ici la liste de tous ses rôles, de tous les spectacles qu’elle a montés, de toutes les missions dont elle a été chargée, de toutes les études et les stages qu’elle a suivis. Elle était étourdissante.
Un personnage de roman d’aventure : à peine sortie du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, elle tourne. Dans Le Faucon de Paul Boujenah et, la même année, voici la cristallisation première de la légende, elle tourne au côté de Sean Connery et Kim Basinger –entre autres- dans un film de James Bond. Elle est James Bond Girl ! Elle tourne en anglais et par un mystère de la production, c’est Elisabeth Wiener qui la double en français…Jamais plus jamais.
A Londres, où elle séjourne, elle devient la correspondante rock de Libération.
Volubile, insatiable, toujours en quête de nouveaux territoires d’écriture, de science, de savoir, empathique, comprenant au plus profond les gens, s’enflammant, elle impressionne les grands esprits du théâtre d’alors : René Gonzalez lui confie la mise en scène du Marchand de Venise de William Shakespeare au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis. Un emportement de tous les sens, avec notamment Denis Lavant, qui compte énormément alors dans la vie même de Saskia.
Bernard Faivre d’Arcier, Alain Crombecque qui lui offre une carte blanche à Avignon –un spectacle de science-fiction un peu flou- , Jacques Baillon et Jacques Toubon qui lui confient la direction artistique du Théâtre 13, la soutiennent.
Elle signe également des spectacles au théâtre privé.
Elle rêve de monter Les Brigands de Schiller dans le cadre du manège de l’Ecole Militaire. Elle fait un stage à l’école de Saint-Cyr Coëtquidan…
Elle est chargée d’un spectacle pour l’ouverture du centre culturel de Nouvelle-Calédonie et le festival des arts du Pacifique. On est en 1988.
Elle monte encore des spectacles en France. Mais elle glisse déjà vers d’autres horizons. Ecrit pour le cinéma, participe à de très importantes productions internationales et se laisse happer par l’étude de l’hébreu et l’interprétation des textes.
En témoigne le dernier spectacle qu’elle ait dirigé en France. On est en octobre 1997, au Théâtre de l’Ile-Saint-Louis. Saskia dirige Jean-Michel Dupuis (qu’elle a mis en scène aussi dans Le Banc avec Elisabeth Depardieu, au Studio des Champs-Elysées). L’Orage et la Prière de Salomon Ibn Gabirol, un théologien nourri, comme Raymond Lulle pour les Chrétiens, comme Averroès pour les Musulmans, des trois religions du livre. Mais son domaine est celui des textes hébraïques.
C’était puissant et éclairé.
Puis Saskia, si elle revenait parfois en France, s’installa en Israël. Elle y avait passé de nouveaux diplômes. Elle y enseignait. Elle a dirigé de nombreux spectacles, des ateliers, elle a traduit, elle a publié. Elle n’a jamais cessé de travailler, d’affronter les textes et les grandes questions qui l’avaient toujours accompagnée. Le seul lien avec elle était le téléphone. Elle ne se dérobait pas complètement, mais elle était ailleurs. Elle donnait des nouvelles. De ses travaux. De sa fille. Maman à son tour aujourd’hui.
Saskia Cohen Tanugi avait des dons profonds, divers. Elle était unique et on demeurera longtemps dans sa lumière.