Il était l’un des co-fondateurs du Théâtre du Soleil. Forte personnalité de la troupe d’Ariane Mnouchkine, il a travaillé avec d’autres artistes, formé des comédiens et été un spectateur passionné que l’on ne cessait de rencontrer lorsqu’il ne jouait pas.
Un profil d’aigle écrit son ami Jean-Claude Berruti : « ton profil de gentil aigle » dit-il plus exactement dans un hommage publié sur Facebook et transmis par le Théâtre du Soleil. C’était frappant. Une forte personnalité physique, sensible, intellectuelle, Gérard Hardy.
Il avait 85 ans. On ne l’imaginait pas octogénaire car il se tenait très droit, comme un danseur, un athlète affectif aurait dit Antonin Artaud (né un 4 septembre…).
Gérard Hardy s’est éteint dans la nuit du 1er au 2 septembre.
Il avait été élève de l’Ecole de théâtre de Chaillot alors que Jean Vilar était encore là et il avait, comme figurant, côtoyé la grande équipe du TNP.
Il avait aussitôt enchaîné avec le groupe réuni autour d’Ariane Mnouchkine, l’Association théâtrale des étudiants de Paris. Il est aux Arènes de Lutèce, en juin 1961. Ils jouent Gengis Khan d’Henry Bauchau.
Sur le site du Théâtre du Soleil, demeurent quelques photographies. Et sur celui de l’INA, on peut retrouver le reportage de Georges Paumier, ancien comédien, réalisateur phare du théâtre à la télévision. Il avait filmé la jeune troupe pour une émission d’Eliane Victor. Un très précieux et émouvant document.
Gérard Hardy est donc là. Si jeune ! Il sera là, quatre ans plus tard, pour fonder, avec Ariane Mnouchkine, Philippe Léotard, Roberto Moscoso, Jean-Claude Penchenat, Françoise Tournafond, le Théâtre du Soleil. Son chemin se confond dans les premières années avec la vie de la troupe qui présente ses spectacles au Cirque de Montmartre, entre autres lieux : en 64 Les Petits Bourgeois de Maxime Gorki en 64, Le Capitaine Fracasse de Théophile Gautier en 1966, La Cuisine d’Arnold Wesker en 1967, Le Songe d’une nuit d’été en 1968, Les Clowns en 1969, puis, en 1970 et 1972, le cycle de la Révolution, 1789 et 1793.
Entretemps, évidemment, la troupe s’est installée à la Cartoucherie. Gérard Hardy sera aussi des aventures de Méphisto de Klaus Mann en 1979 et plus tard L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, grand texte d’Hélène Cixous.
Dès les années 70, Gérard Hardy commence à explorer d’autres univers, même s’il est de l’aventure du film Molière qui sort en 1978 et est tourné en grande partie sur le site même de la Cartoucherie, avec les décors double face de Guy Claude François.
La forte personnalité de Gérard Hardy, sa puissance, son regard ferme, son visage (« aigle gentil » donc, à la Béjart, un peu), son articulation classique, son aristocratie et son engagement sans faille, son attention aux autres, séduisent. Et lui, il a le goût de l’aventure et de la liberté. Mais il est consubstantiel au Soleil. C’est sa maison d’éternité.
Il travaille sous la direction du romanesque André Engel avec Baal de Brecht en 1976, enchaîne avec la Franziska de Wedekind montée par Agnès Laurent. Avec Jean-Marie Simon qui l’engage pour Intrigue et amour de Schiller, en 82 et Gilles Atlan qui le dirige dans Minetti de Thomas Bernhard, il est heureux. Il tourne dans le Danton d’Andrzej Wajda qui sort en 1982…et au théâtre, c’est l’intimidant (et très timide) Klaus Mikaël Grüber qui l’appelle à rejoindre le groupe magnifique de comédiens français qu’il réunit pour La Mort de Danton de Büchner. On est en 1989, année de célébration. Cela se crée à Nanterre-Amandiers. C’est inoubliable.
Et il va entamer un sacré long parcours avec Gilles Bouillon qui dit aujourd’hui, dans les colonnes de la République du centre, son chagrin et son bonheur d’avoir travaillé avec cet homme impressionnant qu’il avait rencontré alors qu’il avait vingt ans et était élève de l’école du TNS. Dès 83, il le dirige dans Le Marchand de Venise. Gérard Hardy est Shylock. C’est à Bourges. Mais ce sera surtout à Tours, alors qu’une profonde amitié les lie, que les deux artistes vont travailler ensemble. Gérard Hardy devient une figure très importante du Nouvel Olympia mais, de plus, comme il dirige des ateliers dans les établissements scolaires, il exerce un ascendant très fort sur plusieurs générations et insuffle le goût du théâtre et des beaux textes à de nombreux jeunes. Citons quelques-uns des spectacles, parmi la bonne douzaine élaborée ensemble : Marivaux, Brecht encore (Dans la jungle des villes) Molière, jusqu’à Dom Juan en 2013.
Gérard Hardy aimait partager. Avec Stuart Seide il plonge toute une année dans les textes de Samuel Beckett et se sent bien dans cet univers aussi musical que métaphysique avant de commencer un long chemin avec celle qui dirige aujourd’hui le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Claire Lasne-Darcueil. Elle écrit parfois, mais surtout explore Tchekhov sans délaisser Molière ou Shakespeare.
Le cinéma fait signe de temps en temps à Gérard Hardy (mais il est en scène, en tournée, ou dans les régions). On le voit dans Jean Galmot, aventurier d’Alain Maline dans Ridicule de Patrice Leconte en 1996. Et dans les années 2000, dans courts-métrages très remarqués : L’Infante, l’âne et l’architecte de Lorenzo Recio en 2001 et Chevaliers errants de Laurent Leclerc, avec un professeur faisant travailler ses élèves sur Don Quichotte, en 2015.
Tous ceux qui ont eu la chance de travailler avec cet esprit volontiers rebelle, aussi accueillant qu’il pouvait être sévère, le pleurent aujourd’hui. Le Soleil bien sûr et ses amis. Et ceux avec qui il n’a joué qu’occasionnellement Lorsqu’il ne jouait pas, Gérard Hardy allait à l’opéra, au concert, au théâtre. On le croisait partout, beau visage toujours, marqué de rides, regard aigu, enveloppé de grands manteaux…
Une de ses dernières apparitions, il y a un peu plus d’un an, était dans A Bergman affair, travail d’Olivia Corsini et Serge Nicolaï : deux enfants du Soleil, de la nouvelle génération… Ainsi boucla-t-il la boucle, du Soleil au Soleil…