Maria Machado et Charlotte Escamez ont opéré des prélèvements dans l’ensemble qui a été publié sous le nom de Carnets en marge. Deux interprètes danseurs et acrobates, très au fait du cœur de l’écrivain, le jouent comme des athlètes. Piste, tréteau, tapis de course, agrès, on peut aller de prouesse du gymnaste au secrets du poète. Samuel Mercer, Denis Lavant jonglent, affrontent, esquivent. Fascinent.
Tout commentaire de la manière dont Denis Lavant porte les pensées et les maux de Roland Dubillard, serait malvenu. Inexact. Il suffit de dire qu’il est exceptionnel, impliqué, concerné, donnant le sentiment de la naissance même des mots.
Comme toujours dira-t-on. Il était ces jours derniers dans le grenier du Théâtre de l’Athénée, dans la salle Christian-Bérard, et enflammait Beckett, sous la direction de Jacques Osinski. On s’y est pris trop tard, il n’y avait plus la moindre place…
Depuis le conservatoire et le début des années 80 (82-83), on est saisi, chaque fois, au cinéma comme au théâtre (et il avait commencé bien avant, s’intéressant au mime Marceau, aux clowns, ce qui apparaît clairement en ce moment de Carnets en marge), par la manière dont cet artiste unique nous permet de comprendre la langue d’un écrivain, d’un poète, ses mots, le secret de ses pensées, de ses sentiments.
Soit deux hommes sur un plateau. Avec quelques accessoires. Tréteau, planche, sièges. Lumière, jeux d’ombres, cavalcades.
Chutes. Trois pour Samuel Mercer, danseur et jeune, deux pour Denis Lavant, acrobate et aîné. Des chutes comme des conclusions merveilleuses de mouvements de corps et de pensées. Des chutes spectaculaires !
Il y a de la vidéo, des ombres. Beaucoup de son qui vient par le côté jardin, le long de la salle. Et donc une suite de déclarations de Dubillard. Comme s’il nous racontait sa vie. Mas c’est un leurre. Comme si on allait le saisir. Or, il ment, il aime les ellipses. Il parle trop vrai au contraire, parfois, violemment.
On pense à sa fille, Ariane Dubillard. Il en est longuement question.
Les ourdisseuses de cette plongée, savent qu’il échappe. Maria Machado, son épouse, après la mort de la mère d’Ariane, et Charlotte Escamez, ont fait des choix.
Il y a un fragment qui vient mal. Celui « désannoncé » comme on dit à la radio, comme un « conte libertin ». Ce n’est pas de la puissance d’écriture de l’auteur de Naïves hirondelles, l’amoureux de Beethoven. Il n’est pas drôle et même, de fait, déplaisant. Et il ne représente pas la férocité active de Roland Dubillard.
D’ailleurs, à ce moment-là, Denis Lavant n’est pas au mieux de sa précieuse science. A ses côtés, Samuel Mercer est excellent.
Rien dire de plus. Ecoutez-les, admirez leur art . Un grand frigidaire les éclaire et fournit du liquide. Car il aimait boire, le déprimé Dubillard. Acteur génial de ses textes et de bien d’autres. A sa santé éternelle d’auteur puissant du XXème siècle.
Théâtre du Rond-Point, à 21h00 jusqu’au 23 juin, le dimanche à 15h30, salle Jean-Tardieu. Durée : 1h20. Tél : 01 44 95 98 21. theatredurondpoint.fr