Donné pour quelques représentations au Festival d’Avignon, ce questionnement sur le vivant et l’artificiel, est présenté dans la salle du Monfort. Très impressionnant.
C’est un travail très étonnant, qui mêle plusieurs genres, si l’on peut dire sans équivoque, que propose Alice Lanoy, artiste formée en scénographie à l’école du Théâtre National de Strasbourg. On est sans cesse troublé, sinon profondément perturbé, par ce qu’elle donne à voir, à éprouver.
Si l’on a bien compris le bref résumé de son chemin, elle s’est intéressée à Pinocchio lors d’une commande de couverture pour un magazine consacré aux marionnettes et, fondant une compagnie intitulée « S’Appelle Reviens », elle a été, de spectacle en spectacle, dans une recherche continue sur les toujours mystérieuses poupées. Si la formule n’était pas galvaudée, on pourrait parler « d’inquiétante étrangeté », si le texte n’était pas cité sans discernement, on rappellerait Kleist.
On ne peut s’interdire d’y penser durant le déroulement de ce qui est une véritable « performance » et on peut entendre le mot dans toutes ces acceptations. Performance mentale et physique des dix enfants, garçons et filles, que l’on découvre au début, joyeux, parlant, criant, dans la vie que l’on imagine celle de l’effusion des verts paradis. Mais le ton change rapidement. On ne racontera pas tout, ici, même si les photographies trahissent les secrets de Pinocchio (Live)2.
On est dans un dispositif bi-frontal. Large espace entre les deux volées de gradins, tapis au sol, utilisation des deux extrémités où se tiennent souvent les deux musiciens et maîtres des rythmes et des actions. Un garçon, une fille mince comme un fil, très concentrée sur les actions qu’elle doit mener. Ils manient percussions et autres instruments susceptibles d’évoquer les souffles.
Ajoutons dix jeunes adultes, élèves de la classe d’art dramatique de Colmar. Garçons et filles. Ils vont être les ouvriers de la transformation des tout jeunes en marionnettes. On pense, en les voyant construire les établis, installer les tuyaux, les branchements, aux travailleurs de La Guerre des Salamandres de Karel Capek (adapté au théâtre par Robin Renucci). Il y a un effet science-fiction dans leurs postures : blouses grises, perchés sur des chaussures, plateformes de bois, montant eux-mêmes, à grand renfort de bruits de marteaux, les tables de transfiguration.
Le tout est harmonisé en une chorégraphie d’armée qui ajoute à l’inquiétude.
Ensuite viennent les petits enfants dans leurs barboteuses blanches…Ils vont se prêter avec une discipline magistrale, au manipulations très bizarres des transformateurs… Il y a quelque chose de sadique dans certains gestes, quelque chose de cruel, quelque chose de profondément dérangeant. On ne tue pas un enfant, ici, mais dix. Jusqu’à ce que, corps peint en blanc, grands yeux de poupée collés sur les paupières, petit pull rayé jaune et blanc, short à bretelles bleu marine ou noir, perruque sous un bonnet jaune, bouche faite au pochoir, et, enfilés à grandes aiguillées, les fils des marionnettes soient cousus dans les chairs, ils deviennent complètement inertes. Corps de bois mort, dix fois Pinocchio, petit abeille ou prisonnier dans les maillots à rayure… On a beau savoir que c’est un leurre, de l’illusion, l’image des aiguilles est d’une cruauté atroce. Car, en plus, on parachève ici la disparition du vivant…
L’extraordinaire confiance des enfants, livré chacun aux mains d’un manipulateur, d’une manipulatrice, est fascinante. Eux n’ont pas peur. Mais qu’un incident technique intervienne, et l’on verra une petite fille éclater en sanglots… Ajoutant à l’émotion profonde et perturbante que l’on ressent.
Ces dix enfants sont les enfants-danseurs du centre chorégraphique de Strasbourg. Impeccables, attachants, doués. Des garçons et des filles. Mais évidemment, la métamorphose les unit et si l’on distingue des silhouettes un peu plus hautes, des jambes plus masculines, en fait ils sont tous un seul et même exemplaire, multiplié par dix…
Au-delà de l’imagination d’Alice Laloy, de l’entourage artistique et technique –tout est ici sous contrôle de grands talents- ce qui est beau est cette confiance, cet abandon des enfants, et leurs capacités d’intelligence et de présence, de discipline…
N’en disons pas plus ; rassurez-vous, à la fin, on les retrouve…
Paris l’été au Monfort, à 18h00 ce soir, 21 juillet 2021. Dernière. Durée : 1h10 (annoncé).
Tél : 01 44 94 98 00.
Site : parislete.fr