Metteur en scène, écrivain, directeur marquant du Théâtre de la Tempête, il s’est éteint hier. Seule une maladie féroce avait pu interrompre un chemin très long, très audacieux, très fertile.
On s’était habitués à ne plus le voir. On le savait malade. On demandait des nouvelles. Personne ne l’oubliait. Philippe Adrien s’est éteint le 15 septembre. Il aurait eu 82 ans en décembre. Au moment de le saluer, on se souvient qu’il avait célébré son ami Allain Olivier lors de ses obsèques à Saint-Roch le 28 mai 2010. Ils étaient de la même génération : 38, l’un, 39 l’autre. Des passionnés de littérature, auteurs à leurs heures, comédiens, metteurs en scène, directeurs d’institutions. Des penseurs, des artistes armés : des enfants de la guerre devenus des citoyens engagés dans les grandes réflexions de leur temps. La guerre, les conflits, la société. Le sens et la place du théâtre.
Philippe Adrien, renardeau des scènes des années 60, auteur explosant avec La Baye (1967) qu’il reprendra des années plus tard, tout en écrivant avec Jean-Louis Bauer. Comédien quelque temps, il ne s’intéresse très vite qu’à la mise en scène. Il travaille sans discontinuer. Nous ne referons pas ici tout ce trajet. Quelques étapes : en 81, il succède à Antoine Vitez au Théâtre des Quartiers d’Ivry avant de fonder l’Atelier de Recherche et de Réalisation Théâtrale (ARRT) en 1985. Une adresse : la Cartoucherie. Il ne la quittera plus.
Ariane Mnouchkine a repéré cet esprit indépendant. Il a été l’assistant de Jean-Marie Serreau, fondateur de la Tempête. Jacques Derlon, que l’on ne célébrera jamais assez, l’accueillera officiellement : on dirait aujourd’hui « artiste associé ». Quelques années plus tard, il est directeur de ce théâtre exceptionnel, aux côtés du Soleil, avec deux salles et des créations en cascade. Dans ces années-là, de 89 à 2003, Philippe Adrien est également professeur au conservatoire.
Aucun domaine du répertoire ne l’indiffère. De Claudel à Cami, de Witkiewicz à Kafka ou Tchekhov, de Molière à Arnaud Bédouet et Véronique Olmi en passant par Enzo Cormann, Jean-Claude Grumberg, Genet, Claudel, de Tom Stoppard, Handke, Müller, à Mayorga ou Schwab, il aura été sur tous les chemins de l’écriture dramatique. Il s’est peu aventuré hors du théâtre public, sauf pour Tennessee Williams : Un Tramway nommé désir avec une Caroline Cellier magnifique et Doux oiseau jeunesse avec une Claudia Cardinale un peu tendue.
Ce sont des dizaines et des dizaines de spectacles, un nombre impressionnant de spectacles jusqu’en 2015. Sa garde rapprochée aux scénographies et lumières, et ses visions, donnaient quelque chose de mystérieux à toutes les mises en scène. Avec les dernières, avec la dernière, Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit de Simon Stephens, Philippe Adrien montrait qu’il n’avait rien perdu de son autorité intellectuelle et artistique. On a tant de souvenirs, d’images, de comédiens en tête, que rien ne sert d’en citer un plus que l’autre. Il aura été un artiste capital.