A l’Athénée, Valérie Lesort et Christian Hecq, soutenus par une équipe artistique exceptionnelle, donnent au premier livre des aventures du héros de Jonathan Swift, un déploiement magistral. Sur le plateau, un comédien et, prêtant leurs visages, leurs corps, leurs talents à des marionnettes hybrides, un bouquet de personnalités magnifiques.
Mais comment ça marche ? Mais qu’est-ce que l’on voit ? Une heure quinze durant, que vous ayez 7 ou 77 ans, vous serez embarqué dans un grand livre d’images magnifiques, un « pop-up » hallucinant qui nous entraîne à la suite d’un grand monsieur très sympathique, le Docteur Gulliver. Un chirurgien, un marin. Le navire sur lequel il voyageait a fait naufrage. Il est le seul survivant. Il se retrouve, inconscient, sur le rivage d’une île où il va être découvert par les habitants. Les minuscules habitants de Lilliput, les Lilliputiens…
Le coup de génie de Valérie Lesort, qui signe l’adaptation, c’est d’avoir pensé à cet usage merveilleux d’une des formes les plus fascinantes de l’art de la marionnette : celle qui, en une chimérique alliance, marie les « vrais » interprètes, leurs visages, leurs regards, leurs expressions, mais aussi leurs corps, éventuellement leurs doigts, et des « poupées » de 50 cm accrochées depuis le cou, comme un plastron. Et ces poupées sont précieusement habillées et coiffées par Vanessa Sannino
Et comment se fait-il que l’on n’ait pas le sentiment d’une bande d’hydrocéphales ? Sur les cagoules, sont cousues des oreilles, mais petites, des oreilles de Lilliputiens ! C’est Carole Allemand, merveilleuse artiste, qui a imaginé, avec l’aide de Fabienne Touzi, le petit monde des aventures de ce Gulliver, noble et généreux, « 100% pacifiste » comme le dit Christian Hecq, qui cosigne la mise en scène.
Comme dans le roman de Jonathan Swift, c’est le Docteur Gulliver qui parle, raconte ses aventures. Un grand homme qui surgit le premier. Elégant, il n’a perdu ni son bicorne ni son élégante redingote, malgré le naufrage. Eric Verdin et Renan Carteaux, se partagent, en alternance, cette partition. Ils ont, l’un comme l’autre, une noblesse, une bonté, une bienveillance qui touchent.
Tous les autres personnages sont donc joués par des comédiens, si pliant à la discipline des marionnettes « hybrides ». Ce sont des interprètes qui viennent d’horizons très différents et que l’on connaît très bien, par ailleurs. Le casting a été rigoureux : savoir jouer, savoir chanter, savoir bouger. Ce Voyage de Gulliver est une comédie musicale avec un travail sur le son très élaboré, et des chansons. Mich Ochowiak et Dominique Bataille sont des virtuoses. La scénographie d’Audrey Vuong, dans le cadre d’un grand castelet, avec des apparitions qui charment, étonnent, château, machines de guerre, navires, arbres de plumes –Sophie Coeffic et Juliette Nozières sont les fées des accessoires- fonctionne parfaitement et permet aux interprètes de se déplacer, d’agir, par derrière, dans le mystère de la vie des marionnettes. Saluons David Alexis, Valérie Keruzoré, Valérie Lesort en alternance avec Emmanuelle Bougerol, Thierry Lopez, Laurent Montel, Pauline Tricot, Nicolas Verdier. Christian Hecq ne joue pas : trop de travail par ailleurs pour le sociétaire de la Comédie-Française…
Ici, et les metteurs en scène le soulignent, tout naît du miracle de la lumière, du « théâtre noir » : le maître de cet art singulier est Pascal Laajili, compagnon de nombreuses créations de Valérie Lesort et Christian Hecq.
Ne croyez pas qu’il ne s’agisse ici que de virtuosité et de divertissement fascinant. Le supplément d’âme est dans le sens. Gulliver nous parle au présent. Il ne nous lâche pas. On rit, on est ému, on ne comprend pas les mystères de la fabrication, de l’animation, mais on est saisi, ému, par le jeu d’une dizaine d’interprètes engagés qui, chacun donne une couleur particulière au « personnage », et le leste de ses leçons. Un spectacle exceptionnel.
« Le Voyage de Gulliver », jusqu’au 28 janvier à l’Athénée (01 53 05 19 19).
Puis en tournée dans toute la France jusqu’en mai. Du 1er au 11 février Théâtre des Célestins, Lyon / 18 au 19 février Equilibre et Nuithonie, Fribourg, Suisse / 23 au 26 février Théâtre National de Nice / 2 au 6 mars Théâtre de Caen / 10 et 11 mars La Comète – Scène Nationale de Châlons-en-Champagne / 15 mars Théâtre Edwige Feuillères, Vesoul / 18 mars Ma Scène Nationale, Théâtre de Montbéliard / 22 et 23 mars Le Tangram, Scène Nationale Évreux–Louviers / 26 et 27 mars Théâtre de Saint-Maur / 30 et 31 mars La Maison – Maison de la Culture de Nevers Agglomération / 12 et 13 avril Théâtre de Sartrouville / 19 et 20 avril La Ferme du Buisson, Scène Nationale / 30 avril Le Carré Sainte-Maxime / 3 mai La Colonne, Miramas / 6 et 7 mai Théâtre de Grasse / 12 et 13 mai Espace Jean Legendre, Compiègne / du 17 au 19mai La Coursive, Scène Nationale de La Rochelle / 24 et 25 mai Théâtre des 2 Rives, Charenton Le Pont