Elle a demandé à Alain Françon de mettre en scène le spectacle qu’elle avait présenté à Avignon il y a quatre ans, déjà avec le musicien Nicolas Repac. « Et pourquoi moi je dois parler comme toi ? », recueil de textes de femmes et d’hommes à part. Eblouissant et bouleversant.
Elle est merveilleuse. Elle possède et la grâce d’une fée et l’intelligence d’une femme de tête qui réfléchit, agit, cherche, construit. Elle a des ailes et c’est comme si, chaque fois qu’on la retrouve, elle nous embarquait et que l’on s’envolait avec elle.
Elle est merveilleuse. Depuis Remagen, une adolescente alors, ou le Faust de cet allumé de Richard Foreman, on ne manquerait pour rien au monde un de ces rendez-vous nombreux et parfois inattendus. On n’avait pas examiné la distribution de La Nuit du 12, le film de Dominik Moll. Elle surgit vers la fin, traversant d’un pas décidé l’entrée d’un tribunal. Elle est dans son bureau. Une juge d’instruction d’une autorité tendre. Extraordinaire, elle l’est encore plus dans L’Innocent de et avec Louis Garrel. Mais cela, vous irez le constater dans quelques jours. Elle fait aussi un joli tour dans Les Volets verts…Et ce n’est pas fini.
Elle peint, elle brode, elle photographie, elle lit, elle écrit, elle enquête. Elle s’enfonce dans le crâne des comédiens. Une aventurière doublée d’une voltigeuse.
Avec Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?, titre repris de la question d’une des auteurs de ce recueil d’écrits « (bruts et non bruts) » qu’elle avait réunis il y a plusieurs années et dont on avait vu une première version théâtrale il y a quatre ans, au Tinel de la Chartreuse de Villeneuve-lèz-Avignon, dans le cadre du festival.
C’était déjà superbe et déjà le musicien, tendre et doux, et virtuose, Nicolas Repac, accompagnait l’interprète, mobile et vive.
Elle a demandé à Alain Françon, qui a été l’un des très proches artistes de son regretté père, Michel Vinaver et qui l’a dirigée, notamment dans Un mois à la campagne d’Ivan Tourgueniev, de la mettre en scène.
Il est dans la maîtrise de son art, il y a de la joie en lui et cela se voit dans cette mouture nouvelle. Anouk Grinberg ressemble à un personnage de Sarah Moon, une cinéaste et photographe amie. Chapeau sur le crâne, pantalon au-dessus des chevilles, veste large et vague, « over size » comme disent les magazines, elle flotte !
Mais, autant c’est large et vague -et les pans de la veste sont des ailes- autant l’interprétation se donne d’une manière aussi aigüe que tendre (encore un mot répété ici). C’est d’une précision éblouissante. Elle change, elle est mobile, sur la crête. La voix est superbe. Les tons très justes. Alain Françon donne une couleur particulière à chaque « texte », des mots, des bribes, des lettres, des adresses, des bouteilles à la mer. Chaque texte, ici, c’est un être plutôt du côté de la souffrance et de l’exclusion. Enfermés des hôpitaux, des asiles, de l’incompréhension. Parfois de grands écrivains. Parfois « sous substance ».
Elle a choisi des personnages combattants. Ils et elles ne se résignent pas. Ils et elles ont à dire, à se dire, à opposer au monde social qui les marginalise et craint de les entendre, des voix, des fulgurances d’analyses incroyables. De la lucidité. On les dit « folles », « fous », mais c’est leur lucidité qui nous éblouit. Et le regard, et les intonations d’Anouk Grinberg, disent tout.
Nicolas Repac est d’une présence idéale. Complice, grand frère. Il dit très bien les textes, lui aussi. On pourrait détailler chaque moment, avec musique, lumières de Joël Hourbeigt, scénographie simple de Jacques Gabel, lutrin et feuilles qui volent, danse, Caroline Marcadé, costume, Avril Bénard, son délicat, Gilles Olivesi. Une perfection de travail. De la poésie pure, de l’émotion, la rage de deviner la souffrance, aussi, de par-delà les mots qui leur servent d’armure.
Théâtre de la Colline, petite salle. Le mardi à 19h00, du mercredi au samedi à 20h00, le dimanche à 16h00. Durée : 1h15. Tél : 01 44 62 52 52. Jusqu’au 16 octobre. Le recueil des textes a été publié par les Editions Le Passeur/Collection de l’Art Brut-Lausanne (20,90€).