Un livre très dialogué qu’elle-même avait voulu voir adapté au théâtre, « Gabriel », une défense de l’émancipation des femmes, mais aussi un roman de cape et d’épée, digne de Hugo ou Dumas, ou une comédie triste à la Musset.
Sombre et romanesque est le spectacle que l’on découvre au Vieux-Colombier, porté à la perfection par un groupe de comédiens très talentueux. Gabriel avait déjà séduit, il y a une vingtaine d’années, Gilles Gleizes qui avait intitulé son adaptation Gabriel(le).
George Sand y imagine en effet une jeune fille élevée comme un garçon sur décision de son grand-père, afin que son héritage échappe à l’un de ses deux fils, l’oncle de Gabrielle, qu’il n’aime pas et qui a lui-même un fils, Astolphe…Est-ce que Gabriel croit vraiment être un garçon ?
On ne détaillera pas ici la cascade des événements qui s’enchaînent, car, pour qui ne connaîtrait pas l’intrigue, l’un des intérêts de la soirée tient à la découverte des rebondissements !
Laurent Delvert, qui signe la mise en scène, a parfois monté des pièces d’Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour et Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Il dit être allé naturellement vers George Sand.
Il choisit un ouvrage assez démonstratif qu’il a adapté avec Aurélien Hamard-Padis. Le spectacle se joue en deux heures –quand le livre en ferait trois fois plus ! Les costumes sont harmonieux, signés Vanessa Sannino et Fanny Brouste, même si les changements à vue sont lassants. Pour Gabriel, notamment, je mets mes chaussettes, j’enlève me chaussettes, ça n’arrête jamais. Pas grave ! On aime moins la scénographie de Philippine Ordinaire, inspirée nous dit-on des sculptures et installations du très à la mode Sir Anthony Gormley. Des montants métalliques que les comédiens doivent manipuler, visser…C’est moche, comme sont moches également les luminaires. Ce qui ne veut pas dire que la lumière de Nathalie Perrier sur le plateau ne soit pas élégante et séduisante, plus que le son et la musique un peu appuyés.
T
Mais les sentiments et les idées tressés par George Sand sont si forts que l’on ne peut qu’être happé par le spectacle. Emporté. Même si l’on rêverait de plus de fièvre, parfois –toujours cette scénographie qui ligote ?
Et surtout, la distribution est formidable. On ne connaît pas bien encore Elisa Erka, artiste auxiliaire (elle cohabite dans le morbide trombinoscope avec l’immense Hervé Pierre qui jouera pourtant au Français jusqu’à la fin de l’année, malgré sa démission). Elisa Erka possède une belle présence, sensuelle et fragile en même temps, idéale pour être une femme victime qui n’a d’autre choix que d’être courtisane. Belle voix, beau regard.
Pensionnaire, Birane Ba, a déjà fait un solide parcours depuis quatre ans dans la maison. Une forte personnalité, une sensibilité, du métier déjà.
Tous les autres sont des as dont on ne se lasse pas de louer l’art magistral.
Elle n’a qu’une grande scène, mais quelle scène ! Et quelle interprétation ! Anne Kessler est déchirante dans la partition d’une mère qui veut protéger son fils mais qui est loin de comprendre les enjeux.
Alain Lenglet, le féroce grand-père, aristocratique et froid, Christian Gonon, Marc, le fidèle protecteur de Gabriel, attentif et lucide, Alexandre Pavloff, l’abbé Chiavari, le précepteur exigeant mais aimant de la jeune fille travestie en homme.
Dans la partition du cousin amoureux à qui Gabrielle rendra ses droits d’héritage, Yoann Gasiorowski déploie ses charmes de jeune premier plein de fougue. Mais il est aussi un garçon, un mâle cet Astolphe tel que le dessine George Sand, et il ne veut pas de la liberté de sa compagne et il est jaloux, méfiant…
Est-ce que cela peut finir bien ? Vous le verrez…Mais d’abord vous serez subjugué par Claire de La Rüe du Can, merveilleux jeune homme et femme séduisante. Un personnage courageux, un esprit audacieux qui ne craint pas d’aller jusqu’à Rome demander au pape justice pour Astolphe…Elle est dans la troupe depuis une dizaine d’années, mais avec ce rôle-titre et le jeu du travestissement, elle déploie encore mieux ses qualités, sa finesse.
Un beau spectacle, cohérente vision du metteur en scène Laurent Delvert, interprétation enthousiasmante.
Vieux-Colombier, à 19h00 le mardi, à 20h30 du mercredi au samedi, 15h00 le dimanche. Tél : 01 44 58 15 15. Durée : 2h00. Jusqu’au 30 octobre.