On comprend que Michel Fau ait choisi de mettre en scène et de jouer cette pièce d’André Roussin qui date de 1951. « Lorsque l’enfant paraît » offre à son immense partenaire de « Fleur de cactus », Catherine Frot, l’occasion de se dépasser –si c’était possible ! Il est lui aussi formidable et donne une actualité réjouissante à la férocité de l’Académicien.
Enfin une occasion de passer une soirée aussi drôle que tonique, aussi merveilleusement séduisante que maligne. Aussi folle que très intéressante car elle donne à réfléchir, cette comédie pourtant apparemment un peu désuète. On rit beaucoup et vous rirez énormément. Mais pas pour de rire, si l’on peut dire. On ose rire d’apparentes énormités et autres bêtises car Michel Fau, qui est vraiment très fort, excelle à redonner couleurs vives et actualité à une comédie qui pourrait s’être fanée. Le titre, Lorsque l’enfant paraît, circonscrit le propos. Par-delà le clin d’œil à Hugo…Ici, l’enfant paraît comme une promesse. Ou plutôt comme une menace, une catastrophe complète. Soit un bouquet de femmes. Une mère, une fille, l’amoureuse du fils, la domestique dévouée. Elles sont toutes enceintes. Et, retour de bâton, dénouement explosif, le sérieux père de famille, ministre, s’il vous plaît, n’est pas exempt de toute ancienne et fertile aventure…
Michel Fau excelle à faire revivre un répertoire délicat : à une distance difficile, quelques dizaines d’années qui peuvent donner le sentiment d’un monde passé à ceux qui l’ont vécu, à ceux qui en ont entendu parler. Il a ainsi monté Demain il fera jour d’Henry de Montherlant, Fleur de cactus de Barillet et Grédy, et Un amour qui ne finit pas d’André Roussin, déjà.
Né dans une grande famille de magistrats et d’industriels, André Roussin (1911-1987) après de sérieuses études de droit, avait d’abord choisi le journalisme. Il rejoint Louis Ducreux, autre brillant marseillais, qui a créé la compagnie Le Rideau Gris à vingt ans. Roussin fait là ses classes douze ans durant avant d’être repéré par André Barsacq qui le mène jusqu’à New York. La guerre advient, il retrouve Marseille et le Rideau Gris. C’est alors que sa première pièce est créée avec en vedette une toute jeune fille, Micheline Presle : c’est Am Stram Gram…
Passons les étapes : Roussin, qui sera Académicien Français, devient l’un des auteurs les plus joués des scènes parisiennes. Il est du côté du théâtre de divertissement, mais il fustige toutes les hypocrisies ou mollesses intellectuelles et morales de son époque. Avec Les Œufs de l’Autruche, il aborde l’homosexualité. On est en 1948. Trois ans plus tard, Lorsque l’enfant paraît pose frontalement la question de l’avortement.
Plus de soixante-dix ans plus tard, Michel Fau met formidablement en lumière ce qu’il y a de caustique, de très corrosif dans l’écriture et la pensée d’André Roussin. Ne dévoilons pas l’argument, évoqué en deux lignes plus haut…Laissez-vous happez par cette comédie mise en scène sous le signe de l’intelligence et d’un très grand talent. Décor de Citronelle Dufay, costumes de David Belugou, lumières d’Antoine Le Cointe, tout est subtilement pensé.
On rit beaucoup. Les répliques sont comme des flèches assassines, mais aussi comme de douces remarques…fulgurantes et immédiatement toxiques. Un grand art d’écriture doublé d’une joie de jeune homme turbulent, c’est ce qu’éclaire Michel Fau.
Il a réuni une très belle troupe. Agathe Bonitzer est la jeune fille de la maison, une sacrée coquine. Son frère est bizarrement composé par Quentin Dolmaire. Il a l’air nigaud sinon l’air d’un grand malade aux frontières d’un autisme inspiré. Mais pourquoi fait-il le pitre et tire-t-il la langue au public ? Hélène Babu, en deux apparitions très différentes, offre sa délicieuses présence au spectacle. Inattendu, Maxime Lombard est un très digne énergumène de grand-père. Un révolutionnaire à nœud papillon…Comme au Grand Magic. Mais attention, Maxime Lombard est un comédien très sérieux lorsqu’il le faut ! Enfin, Sandra Codreanu est la petite bonne qui se retrouve dans une situation embarrassante. Une excellente interprète, elle aussi.
Irradiant de tout le contentement d’un homme qui va devenir ministre, le Charles Jacquet de Michel Fau est idéal, bonhomme tout en moelleux, mais sévère en même temps…Jusqu’à ce que le passé fasse retour.
Ici, une étoile illumine de son art ses camarades et donne à la représentation son supplément irrésistible. On ne trouve pas d’autre qualificatif que « grandiose » pour cette personnalité fabuleuse qui peut jouer Beckett comme Barillet et Grédy avec la même évidence. Ici, franchement, elle se surpasse dans la moindre intonation, le moindre mouvement, le moindre geste. Elle est fabuleuse, Catherine Frot.
Théâtre de la Michodière, à 20h00 du mardi au samedi, supplémentaire le samedi à 16h00, matinée le dimanche à 15h30. Durée : 1h50. Tél : 01 86 47 68 62.