Parfois la personnalité d’un être se révèle à sa mort. Ce fut le cas pour le père de l’écrivain, metteur en scène, comédien. Un grand peintre qui était aussi un escroc.
Lorsqu’Igor Mendjisky avait monté Le Maître et Marguerite, il y a déjà plus de quatre ans, le jeune artiste parlait de son projet suivant : écrire la vie de son père, peintre célèbre dont il venait de découvrir qu’il avait menti toute sa vie, et qu’en plus, il était un escroc sans scrupule.
Un sacré défi. A l’époque, ce jeune artiste ultra-doué et audacieux, chef de troupe et personnalité puissante, disait que la pièce porterait sur la mort de son père. Des années plus tard –les suspensions du Covid ont retardé la création- on découvre un spectacle formidable, aussi drôle que bouleversant, magistralement construit, conduit, dirigé, joué. Et le « personnage » vers lequel se cristallisent toutes nos émotions de spectateurs, c’est Ilia. Lui, Igor.
On pourrait analyser longuement ce grand travail. Disons d’abord, tout simplement, que c’est le seul spectacle dont on a envie que tout le monde le voie ! On sort de là en se disant : enfin une création très originale, très exigeante, très grave, très universelle, très drôle souvent et merveilleusement mise en scène et interprétée : trois heures –entracte compris- qui passent comme un souffle et sont enthousiasmantes.
On ne fera pas ici un article précis car il faut aller vite et convaincre le plus de monde possible de se rendre aux Bouffes du Nord ! Il y a d’abord, et c’est lui qui commence et c’est lui qui finit, l’intelligence profonde d’Igor Mendjisky, son charme d’adolescent indissociable de sa maturité, sa présence, son autorité, sa poésie.
Cette poésie, c’est celle de son écriture. Il a pris une décision très fertile : il tourne un film en Russie sur son père. Cette mise en abyme ne met aucune distance entre ce qu’il nous montre et ce qu’il nous raconte…
Il a une audace, une insolence, formidables. Voyez-le portrait de sa mère incarnée avec une merveilleuse énergie par Juliette Poissonnier derrière des lunettes noires…Le père, le père vieux, élégant, tel un Commandeur imposant, est porté par Jean-Paul Wenzel, la génération des artistes libres de naguère, touchant, tranchant, avec cette voix des années TNS 70, qui rappellent soudain André Wilms, mais qui est sa voix, unique. Wenzel, auteur et père d’une fille ardente : bref un père qui porte de tendres héritages…Ce père-là est un fantôme que seul voit Ilia…
Le père jeune est omni présent. Il est très interventionniste ! Guillaume Marquet est précis et il faut le voir, après l’entracte, secouer les spectateurs ! Il y a la fratrie d’Ilia/Igor : son père s’est marié trois fois et chaque fois, des enfants sont nés. Antoine, Pierre Hiessler, Olia, Esther Van den Driessche, Macha, Alexandrine Serre (que nous avons vue, elle est en alternance avec Raphaèle Bouchard), et n’oublions pas Hortense, Hortense Monsaingeon et l’essentiel Yuriy Zavalnyouk, dans la partition de Dédale…
Ne disons pas tout. Le bonheur de ce spectacle est d’être sans arrêt étonné, ému et de rire beaucoup malgré le profond tragique de ce spectacle.
Les Couleurs de l’air, est une remontée dans le temps, une plongée dans un puits sombre. Ce chagrin, cette souffrance, font naître l’un des meilleurs spectacles de ce début de saison. Trois générations d’artistes. Des peintres d’abord, le grand-père, le père. Et lui, Igor Mendjisky, homme d’écriture, de théâtre, d’image, raconte une partie de son chemin…Unique, très personnel et pourtant, par la scène et son équipe artistique excellente : dramaturgie, Charlotte Farcet, scénographie Claire Massard avec Igor Mendjisky, lumières Stéphane Deschamps, vidéo et son, Yannick Donet, musique de Rémy Charpentier, costumes May Katrem et Sandrine Gimenez.
Théâtre des Bouffes du Nord, du mardi au samedi à 20h00, dimanche à 15h00. Tél : 01 46 07 34 50. www.bouffesudnord.com
Jusqu’au 19 novembre.
Puis, le 26 novembre au Théâtre de Saint-Maur.
Du 11 au 15 janvier, aux Célestins de Lyon.