La manifestation, devenue, sous la direction de Jean Varela, l’une des plus intéressantes de France, a débuté le 1er juin. D’amples productions et des moments plus simples et souvent puissants.
Faut-il redire la beauté somptueuse du Domaine d’O à Montpellier ? Faut-il souligner le charme de la haute pinède, avec ses guirlandes d’ampoules colorées, ses chaises longues, sa librairie, son espace dédié aux journalistes venus cette saison en très grand nombre, ses bars et comptoirs de restaurations, ses tables de bois, ses bancs ?
On l’a fait si souvent par le passé que l’on craindrait la pure et stérile redite. N’empêche ! Si quelques spectacles se donnent en dehors des limites du parc enchanté, au Théâtre des 13 Vents, au Hangar Théâtre ou encore à Castelnau-le-Lez, la plupart des artistes sont réunis là, au secret des salles, ou sous le ciel très étoilé de l’Hérault. Amphithéâtre, théâtre de verdure des Micocouliers, grand bassin asséché, immense structure du Théâtre Jean-Claude Carrière, plus petite salle du Théâtre d’O, tout accueille les spectacles et les grandes allées XVIIIème sont sans cesse parcourues de personnes qui, calmement, se rendent d’un lieu à un autre, discutant, admirant ici la roseraie, ici les oliviers ou encore les façades au cordeau de la « Folie » qui est au cœur du domaine.
Depuis que Jean Varela a succédé à Daniel Bedos, qui était un amoureux des lointains et des expressions traditionnelles ou contemporaines venues du monde entier, le spectacle vivant moins exotique a repris ses droits. Varela, homme de théâtre né dans la région, metteur en scène, comédien, excellent connaisseur de la jeune création et habitué des grands festivals européens et de leurs têtes d’affiche, a rapidement insufflé un esprit original au Printemps des comédiens. C’est Jean-Claude Carrière qui avait choisi cet artiste très engagé dans l’accès du public aux œuvres, notamment avec le formidable espace que fut, sous sa direction, « Sortie Ouest ».
Découvertes, artistes très reconnus étaient au rendez-vous et l’on a vu depuis 2011, d’inoubliables productions. Théâtre, mais aussi jeune cirque, danse, musique, on rapportait de Montpellier images fortes, impressions puissantes, éblouissements.
Depuis quelques saisons, le Suisse Eric Bart, qui a travaillé de Vidy-Lausanne à l’Odéon, grand voyageur devant l’éternel, renforce la programmation, des artistes de renom, tels Romeo Castellucci ou Ivo van Hove. Ce que Varela faisait aussi, bien sûr. Les journalistes, les critiques « parisiens » notamment, ont longtemps négligé la manifestation pourtant passionnante. Ils pullulent aujourd’hui et on a hâte de les lire…
C’est au soleil doux d’une fin d’après-midi que le public, toutes générations confondues, a été invité à descendre jusqu’au grand bassin depuis longtemps asséché, où l’on a applaudi une fête foraine enivrante imaginée pour un Casimir et Caroline d’Horvath par Jean Bellorini ou les élèves de l’Ecole du TNS, sous la houlette de Stanislas Nordey.
Cette année, une installation qui semble miniature, quand les pins immenses s’élancent à l’arrière et sur les côtés, composant un fond de décor magnifique à Ismène par Mama Prassinos et par une chanteuse lyrique d’exception, soprane éblouissante, Mia Mandineau, fille de la comédienne ultra-sensible.
Il y a bien longtemps que l’on admire Mama Prassinos, comédienne au théâtre et au cinéma, et on la retrouve dans un exercice très personnel, sous le regard sûr de Marion Coutarel, metteuse en scène délicate. Cette Ismène, cette petite sœur célébrée par Yannis Ritsos (son poème fut lu en 2017 au Festival d’Avignon, dans le programme de France Culture, par une incandescente Isabelle Adjani), cette Ismène est ici réinventée par l’auteure Carole Fréchette. Une belle évocation, palpitante et sensible.
Dans un décor très simple d’apparence, mais très sophistiqué, un décor de sable qu’on vous laisse découvrir lorsque ce moment rare sera repris, on l’espère, on révise notre histoire. Aneymone Wilhelm qui a imaginé cette scénographie imagine le lieu idéal. Lieu du vivant et des fantômes, lieu de la puissante architecture, corrodée par les siècles. Autre soin remarquable : la lumière. Il fait jour lorsque l’on assiste à la représentation, mais Marie Nicolas fait des miracles subtils…
Autre richesse, on l’a citée, Mia Mandineau, soprane très belle, avec quelque chose de grec dans l’allure. Après tout sa mère se nomme Prassinos et l’on n’oublie pas le grand peintre, ami des écrivains et du spectacle, Mario Prassinos…Mais elle a choisi de chanter un kaddisch. Elle erre, au-dessus du bassin. On ne la voit pas. On l’entend, lointaine. Puis elle surgit et l’on a le cœur chaviré.
Quant à Mama Prassinos, toute sa pureté, sa finesse, sa beauté tendre, sont mises au service du beau texte de Carole Fréchette. C’est simple et profond, magistral sans démonstration. Superbe.
Superbe également, mais le texte est beaucoup plus souvent joué, Rapport pour une académie, de Franz Kafka, dans une nouvelle traduction de Daniel Loayza. Une mise en scène et des lumières de Georges Lavaudant, dans un lieu fermé, le Théâtre d’O.
Jean-Pierre Vergier, artiste indissociable du parcours de Lavaudant, a choisi une scénographie monumentale. Une énorme porte sculptée –encore plus haute que ce que l’on voit dans la salle !- qui s’ouvrira largement à la fin, pour découvrir un paysage –n’en disons pas plus…Mais vous reconnaîtrez le monde de Franz Kafka.
Ce singulier « rapport », dont on ne déflorera pas le contenu, si jamais vous ne l’avez jamais vu ou lu, est pour un comédien, un défi. Dans cette version, l’interprète est très bien maquillé et perruqué par Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo. Un interprète que l’on admire à chacune de ses apparitions. Un acteur magnifique qui a joué dans le Lear monté par Lavaudant, mais que l’on applaudit tout au long des saisons, dans les salles publiques, comme dans les salles privées.
Manuel Le Lièvre. Un artiste d’une intelligence rayonnante, vif et délié, dense et dansant. Capable d’être une cocasserie renversante, et, ici, d’une gravité déchirante. Par-delà le masque que composent et le maquillage et la perruque, on a le regard, la voix, ses délicates nuances. On a le cœur transpercé par cette histoire et par la dignité de celui qui s’adresse à nous. Kafka, c’est Kafka… Cela ne dure pas même une heure, et l’on a son content de grand théâtre ! Et la jeunesse de Lavaudant est toujours là !
Dans les jours qui viennent, nous parlerons d’Extinction, un travail au long cours de Julien Gosselin, qui est également à l’affiche du Festival d’Avignon, et des mises en scène en diptyque d’Après la répétition et de Persona d’Ingmar Bergman, par Ivo van Hove.
Printemps des comédiens, jusqu’au 21 juin. Domaine d’O à Montpellier.