Dans l’adaptation du livre de l’Italienne Goliarda Sapienza, L’Art de la joie, par Ambre Kahan, qui signe également la mise en scène, la comédienne qui incarne l’héroïne, Modesta, éblouit par sa présence, son énergie, son intelligence, sa beauté. Cinq heures en scène, et pas le moindre signe de baisse de régime
Il y a quelques saisons, au TNP de Villeurbanne, en novembre 2018, on avait applaudi l’adaptation pour la scène de L’Université de Rebibbia de Goliarda Sapienza, dans la traduction de Nathalie Castagné (Le Tripode éditeur). Alison Cosson et Louise Vignaud signaient une version libre, mais fidèle à l’esprit de l’auteure. Rebibbia réunissait cinq comédiennes dans le huis clos de la prison où Goliarda Sapienza avait purgé une peine, pour avoir volé des bijoux, en un geste étrange. On se disait qu’il était bien d’entendre sa voix si particulière et sa manière audacieuse de travailler l’oralité.
Cinq ans et plus ont passé et voici qu’avec une audace incroyable, Ambre Kahan propose une traversée de L’Art de la joie (traduction Nathalie Castagné pour Le Tripode). Plus de cinq heures de représentation (deux parties de 2h30 pour les actes 1 et 2, deux autres sont à venir dans les projets de la metteuse en scène).
Sans l’époustouflante Noémie Gantier, engagée de toutes ses fibres dans l’incarnation de l’héroïne, Modesta, artiste exceptionnelle que l’on admire depuis longtemps mais qui ici accède à une dimension immense, le spectacle ne nous toucherait pas autant. Forcément, sur une si longue durée, il y a de légères faiblesses de construction, de représentation. Mais jamais du côté de l’interprète principale, qui est la joie même, éclatante, éclaboussant le monde, la société de son temps, du couvent où on la retient aux salons aristocratiques. Un trajet fulgurant pour Modesta, née en Sicile, un 1er janvier, en 1900, un trajet hallucinant pour Noémie Gantier, unique, unique et seule pour donner vie à Modesta à tous ses âges, de l’enfance à la maturité, en passant par l’adolescence et sa prime jeunesse.
Ambre Kahan explique qu’elle a souhaité garder « le tumulte, le désordre, le débordement » du livre. Elle suit le mouvement de l’écriture et n’a pas cherché de recomposition, sauf sur le plateau même où les actions peuvent glisser, se donner sur plusieurs plans de profondeur de champs, être « tuilées » parfois.
Il y a dans le livre une certaine complaisance pour les aventures sexuelles. Ambre Kahan ne nous fait grâce d’aucune et exige de son interprète une disponibilité qui pourrait être exténuante. Jusqu’à lui faire gravir les escaliers de la grande salle de la MC93, nue, complètement nue. Noémie Gantier est physiquement du côté d’une parfaite et moderne déesse. Mince, fine, renversante. Ce qui fait que l’on n’est jamais gêné. Mais elle est surtout idéale dans le jeu et le hausse, littéralement. Tous les interprètes qui l’entourent sont très bons. On a mis leurs noms en note : aucun document ne les laisse apparaître et c’est dommage, comme est dommage la sourde lumière de Zélie Champeau, qui noie les visages.
Un grand travail dont nous reparlerons plus longuement, plus précisément car il va se jouer sur le long temps.
L’Art de la joie, actes 1 et 2, à la MC93 de Bobigny, avec le Théâtre de Nanterre-Amandiers. Le vendredi à 18h00, le samedi et le dimanche à 16h00. Durée : 5h30, entracte compris, en principe. 2h30 et 2h30 séparées par un entracte d’une demie heure.
Puis à L’Azimut d’Antony/Châtenay-Malabry, les 16 et 17 mars, A Chambéry, scène nationale, les 28 et 29 mars, à Châteauvallon-Théâtre Liberté, scène nationale, les 11 et 12 octobre.
Distribution des rôles :
Aymeline Alix, Mère Leonora, Princesse Gaia, Stella.
Jean Aloïs Belbachir, Tuzzu, Günter, Mattia, José.
Florent Favier, Giufà, Carlo.
Noémie Gantier, Modesta.
Vanessa Koutseff, Sœur-Infirmière, Mademoiselle Inès, Carmela.
Élise Martin, Béatrice
Serge Nicolaï, Carmine.
Léonard Prego, la sœur, Tina, Ippolito, une bonne sœur.
Louise Rieger, Vif-Argent, l’historienne Maria G.
Richard Sammut, le père, sœur Costanza, Rosario, Professeur Bernardo, un prêtre, sœur Clara, Pasquale.
Romain Tamisier, une bonne sœur, le Capitaine, le maître de danse, Antonio Licata, Vincenzo.
Sélim Zahrani, la mère, Pietro.
Création musicale Jean-Baptiste Cognet. Musicienne et musicien : Amandine Robilliard, violoncelliste et Romain Thorel, pianiste et corniste.
Accompagnement artistique et éducatif Léonard Prego, Amélie Gratias en alternance avec Karine Guibert. Assistanat à la mise en scène Romain Tamisier. Lumière Zélie Champeau. Son Mathieu Plantevin. Scénographie Anne-Sophie Grac. Costumes Angèle Gaspar. Perruques et maquillage Judith Scotto. Régie générale Charles Rey. Régie plateau Ida Renouvel. Décor Ateliers de la MC93.