Paul Platel, un grand talent confirmé

On a retrouvé avec un grand plaisir l’adaptation d’une partie de la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac par la jeune troupe Les Evadés. Sous le titre Splendeurs et Misères, on suit les espérances et des désillusions de Lucien de Rubempré avec un groupe de comédiens très doués.

On connaît le talent de Paul Platel. On a applaudi ici même, à la Cartoucherie, ses deux premiers spectacles, présentés grâce à la confiance qu’accorde à ce groupe talentueux, Ariane Mnouchkine. Après les écrits originaux de Paul Platel, Je me souviens et Pardon Abel, c’est cette dernière qui lui a conseillé d’aller vers un autre univers. Il aurait pu monter une pièce du répertoire. Mais Balzac est décidément dans l’air et la jeunesse prend la mesure de l’extrême force de la Comédie Humaine.

On a vu, la saison dernière, au Théâtre de l’Epée de Bois, Splendeurs et Misères. Deux heures trente extrêmement bien conduites et interprétées par six comédiens, à peine, se multipliant dans des partitions bien différentes, et toujours sur le fil exact du personnage. Seul le comédien jouant Lucien de Rubempré, s’en tenait à ce seul personnage.

C’est toujours le cas aujourd’hui et Gaètan Poubangui tient avec finesse et ardeur son parcours aux moirures contrastées. Il est plus nuancé encore que la saison dernière. Des élans du tout jeune homme qui rêve auprès de ses proches d’Angoulême, sa sœur Eve Chardon, Laure Sauret (après Manon Xardel) et son ami David Séchard (Willy Maupetit), à sa fascination pour l’agitation parisienne qui est miroir aux alouettes, monde dangereux, toxique.

Régulièrement revient la mobylette bleue de David, régulièrement reviennent des scènes pleines de sentiments vrais et de sincérité, loin des tumultes de la presse ou du théâtre. Une manière fine de faire un lien entre passé et présent du héros, mais aussi d’éclairer ce qui fascine chacun des lecteurs de Balzac ou des spectateurs du Théâtre des Evadés : de la Restauration aux années 2000, rien n’a vraiment changé du côté des appétits politiques, littéraires, médiatiques. Tout est truqué. Presque tout.

Ce qui est d’abord très réussi dans ce spectacle, est sans nul doute une adaptation audacieuse qui conserve et le cheminement des intrigues et la puissance de l’écriture de Balzac, sans suivre scolairement les oeuvres : Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes. Rien de scolaire, ici, rien d’arrachement outrancier à l’encre de l’écrivain, non plus. On l’a dit, les jeunes aiment s’emparer du monde fascinant d’Honoré de Balzac. On se doit de citer, par exemple, le travail de Pauline Bayle ou celui du Nouveau Théâtre Populaire et la récente version théâtrale du Père Goriot, vu aux Gémeaux Parisiens et jouée par trois comédiens seulement : Delphine Depardieu, Jean-Benoît Souilh et Duncan Talhouët. Une adaptation elliptique, une mise en scène vive de David Goldzahl.

Dans le travail de Paul Platel, il y a l’intelligence du texte, l’habileté à nous renvoyer, mine de rien, à aujourd’hui, il y a la violence de la représentation de certaines scènes -celle du sadomasochisme, notamment-, il y a le sens chorégraphié des moments d’agitation intellectuelle, du Cénacle aux salles de rédaction et au théâtre bien sûr, des coulisses à la scène, à la salle. C’est une manière très aigüe, qui appelle l’intuition du public, une attention qui exige un effort, mais aussi, paradoxalement, une attention flottante qui se laisserait porter par ce grand charivari de la société du XIXème siècle à 2025.

Il faut des acteurs de haute audace pour passer d’un personnage à un autre, d’un cercle à un autre. On a cité les âmes pure d’Angoulême. La très mobile et ultra-sensible Laure Sauret, Eve, est également la Marquise d’Espard et Coralie, actrice guerrière, comme la qualifie de metteur en scène, mais aussi Flicotaux et Léon Giraud…Un sacré parcours, celui de Manon Xardel l’an dernier et on ne l’oublie pas.

Quant à Willy Maupetit, David, il est également le très important Nathan et d’autres. Nicolas Katsiaspis est Lousteau et D’Arthez, Jason Marcelin-Gabriel, Finot et l’ambigu Sixte du Châtelet, Marianne Giropoulos est Louise de Bargeton, entre six autres figures dont Florine. On ne peut détailler les différentes incarnations, toutes convaincantes. Et n’oublions pas, annoncé par le générique de l’émission L’Heure bleue de France Inter, l’apparition, blonde, pantalon et hauts talons, lunettes noires à monture rose (ils n’ont pas osé la forme en coeurs) d’une journaliste de notre temps, qui vous fera peut-être penser à Laure Adler.

Un travail très important dans le paysage théâtral actuel. Paul Platel est un esprit puissant et sa manière de diriger, de dessiner, de faire surgir des images et des âmes est très forte, très originale.

Il faut saluer les scénographes et conceptrices des costumes, Estelle Deniaud et Cécile Carbonnel, les créateurs des lumières et régisseurs, Ugo Perez Andreotti, avec Arthur Pinel et Samuel Zucca et le compositeur de la musique, qui, ici, est un élément essentiel. Elle est signée Tom Ouzeau.

Splendeurs et Misères, un spectacle que l’on espère voir repris, encore et encore.

« Splendeurs et Misères« 
du jeudi 9 janvier 2025 au dimanche 2 février 2025
Théâtre du Soleil
Route du Champ de Manœuvre, 75012, Paris

Du jeudi au vendredi à 19h30, le samedi à 15h, le dimanche à 16h. Tél : 01 43 74 24 08. Durée : 2h30 sans entracte

D’autres dates sont prévues d’ici quelques mois.