Jean-Pierre Vergier, le peintre de nos rêves

Indissociable du parcours de Georges Lavaudant, artiste audacieux et visionnaire, il s’est éteint il y a trois jours. On ne l’oubliait pas. Il est inoubliable.

Des grandes aventures artistiques qui ont éclos dans les années 70-80, il est indéniable que celle de Georges Lavaudant, Ariel Garcia-Valdès et leurs amis, à Grenoble, et bien au-delà, est l’une des plus fortes. L’une des plus séduisantes aussi, parce que l’on était, à chaque fois, ébloui par un univers esthétique époustouflant.

Chaque fois que l’on me demande quel est mon plus puissant souvenir de théâtre –et pardon, ici, de m’en tenir à ce « je » qui n’est que très personnel- je cite des images, et elles concernent la même pièce. Oublions que nous hantent Orlando Furioso aux Halles de Baltard, ou L’Age d’or à la Cartoucherie, et avouons que Les Géants de la montagne, mise en scène de Giorgio Strehler, à l’Odéon-Théâtre de France, en 1966 (année des Paravents), ou alors un peu plus tard, avec cette fin terrible d’un rideau de fer écrabouillant la carriole des pauvres comédiens, fut pour nous un moment d’émotion tel que, soixante ans plus tard, on retrouve le tourment de cette hallucination.

Les années passèrent, et les grandes mises en scène, les grands spectacles, les scénographies magistrales, nous firent glisser vers des représentations d’une puissance profonde.

Mais on n’a jamais oublié, et on a toujours la chair de poule en revivant ce moment, la lente montée du rideau de fer dévoilant l’immense pont coupé qui était l’espace que Jean-Pierre Vergier avait imaginé pour Les Géants de la montagne de Luigi Pirandello, mise en scène de Georges Lavaudant. C’était à Annecy. La veille ou le lendemain, on découvrirait un très grand Marivaux (sur un échiquier noir et blanc, mais pas de Vergier) signé Alain Françon.

Des années durant on a été époustouflé par la force, l’éloquence, la beauté des espaces que cet homme discret imaginait. Il signait également les costumes, superbes, seyants, faits pour le jeu mais splendides.

Jean-Pierre Vergier n’était pas d’un abord facile. Avec les journalistes, il était volontiers taiseux, sincèrement étonné que l’on puisse être renversé par ses créations. Il était peintre. Un homme du silence. Il a dû bien rire et parler avec Jo, Ariel et leur bande du Théâtre Partisan, devenus les patrons du centre dramatique et la coqueluche des Parisiens et habitués du Festival d’Automne. Vergier était un poète, un voyant aux fulgurances bouleversantes. Foin des dramaturges et autres Trissotin, avec lui. Des tous les artistes, les peintres, qui ont marqué le théâtre depuis la deuxième moitié du XXème siècle, jusqu’ànos jours, il est le plus puissant, le plus original, le plus libre.

Palazzo mentale de Pierre Bourgade, Les Cannibales, La Rose et la Hache, pour ne citer que les premiers textes épanouis en inoubliables scénographies, donnent à Jean-Pierre Vergier la place d’un exceptionnel artiste/

Il a travaillé auprès d’autres metteurs en scène, mais sans quitter la constellation des poètes : Bruno Boeglin, Bruno Bayen, Daniel Mesguich et Ariel Garcia-Valdès, qui signa de belles mises en scène.

Un grand artiste s’efface qui composait aussi les affiches des spectacles. Elles aussi, inoubliables..                                                                                                                                                     l