A l’affiche à Paris, des moments de haute grâce, très différents, mais d’égale puissance. « Faustus in Africa ! » au Théâtre de la Ville, « Le Funambule » au Théâtre de Poche, « Le Passé » d’après Léonid Andreïev à l’Odéon-6ème.
Trois maîtres de la scène, et au-delà de la scène, à saluer profondément : William Kentridge, Pierre Constant, Julien Gosselin.
Dans des propositions d’ampleurs très différentes. Avec le seul en scène de Pierre Constant, seul sous le regard de Jean Genet, portrait au regard insistant de voyant. Dans des lumières de Jacques Rouveyrollis, le danseur-interprète, poète de la scène, propose la troisième version de ce Funambule qu’il porte depuis des années. Il est accompagné très fugitivement par le violon de Federico Sanz, que l’on pourrait entendre plus, sans que le propos de magistral Pierre Constant soit en rien dénaturé. Le texte de Jean Genet est bouleversant, l’interprétation admirable de fidélité et d’audace, en même temps. Dernière des trois représentations exceptionnelles, ce soir à 21h00 au Théâtre de Poche (01 45 44 50 21). Durée : 1h10.
Autre reprise exceptionnelle, celle du spectacle qui nous révéla William Kentridge. Au Festival d’Avignon, lors du deuxième mandat de Bernard Faivre-d’Arcier, on découvrit, au Théâtre Municipal (aujourd’hui l’Opéra), Faustus in Africa !, déploiement de l’art multiple de Kentridge avec la Handspring Puppet Company. Ce spectacle d’une richesse infinie date de 1995. En Afrique du Sud, avaient eu lieu, un an auparavant les premières élections démocratiques qui suivaient la libération de Nelson Mandela. Un pacte lia le gouvernement des Afrikaners et celui, de la liberté qui allait lui succéder : les autorités voulaient éviter une guerre de plus. Ce pacte, William Kentridge le ressentit comme un pacte avec le diable. Il pensa à la figure de Faust, à celle de Méphistophélès, et après avoir relu et étudié toutes les versions de cette fascinante histoire, opta pour la version de Goethe, sans oublier le « deuxième » Faust.
Marionnettes d »Adrian Kohler et de Basil Jones, musiciens, le regretté James Phillips et Warrick Sony, comédiens-manipulateurs au nombre de sept, seulement, dessins de William Kentridge lui-même, cet époustouflant opéra impose toujours sa grandeur et sa profondeur. On est subjugué par la beauté et la maîtrise, on est ému et l’on rit. Rien n’a été changé depuis trente ans. C’est une oeuvre d’art unique et immortelle. Le Festival d’Automne nous permet de la retrouver. Qui a dit que le théâtre était éphémère ? Au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt, jusqu’à demain à 20h. (01 42 74 22 77). Durée 1h30.
Enfin, troisième rendez-vous à ne pas rater, Le Passé d’après l’auteur Léonid Andreïev (1871-1919), traduit par André Markowicz. Nous reparlerons plus longuement de cette traversée au long cours (4h30, entracte compris) qui se donne au Théâtre de l’Europe à l’Odéon 6ème.
Le Passé avait été créé au Théâtre national de Strasbourg en septembre 2021.
Julien Gosselin a été saisi par le destin d’une femme rare. Ekaterina Ivanovna est une héroïne déchirée et déchirante. Elle échappe à une tentative d’assassinat perpétrée par son mari, bascule dans une vie déglinguée. Julien Gosselin signe l’adaptation et la mise en scène, puisant dans un autre écrit d’Andreïev, Requiem, lui aussi traduit par André Markowicz.
Filmage en direct, impeccable, par des artistes du cadre vidéo, Jérémie Bernaert et Baudouin Rencurel, Pierre Martin Oriol, musique prenante de Guillaume Bachelé et Maxence Vandevelde, investis dans le jeu, lumières, sons, masques, le travail est poussé très loin et orchestré d’une manière stricte. Carine Goron et Victoria Quesnel sont époustouflantes dans des parcours accidenté et impressionnants. Les comédiens eux aussi sont remarquables dans leurs lignes et métamorphoses : Guillaume Bachelé, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Achille Reggiani, Maxence Vandevelde.
Il y a des moments très éprouvants, des instants de paix, des questions métaphysiques et des pensées prosaïques. Les tourbillons des vies, et une réflexion aigüe sur le théâtre même, la mémoire et ses représentations. Au Théâtre de l’Odéon à 20h et 15h le dimanche. Jusqu’au 4 octobre.