A la Comédie-Française avec Etincelles, comme à l’Echangeur de Bagnolet, avec Vent fort, le metteur en scène, en intimité avec l’œuvre de l’écrivain norvégien, nous le révèle dans ses lumières, servi, ici et là, par de fortes personnalités d’interprètes.
Jon Fosse a reçu le prix Nobel de littérature en 2023. Dans le discours qu’il tint lors de sa réception, il expliquait sa relation à l’écriture. En se souvenant combien, enfant, adolescent, il était terrorisé à l’idée de lire devant ses camarades, dans une classe, il expliquait son cheminement : « En un sens, c’est comme si la peur m’avait retiré le langage et que je devais le récupérer (…). Il décide d’une solution : « J’ai commencé à écrire mas propres textes, des petits poèmes, des petites histoires ». Et de préciser : « Et j’ai découvert que cela me donnait un sentiment de sécurité, qui était tout le contraire de la peur. J’ai trouvé en quelque sorte un endroit à l’intérieur de moi qui n’était qu’à moi, et depuis cet endroit, je pouvais écrire ce qui n’était qu’à moi. »
Cinquante ans plus tard, c’est toujours ainsi qu’il écrit : « depuis ce lieu secret en moi, un endroit dont, très honnêtement, je ne sais pas grand-chose, sinon qu’il existe. »
Gabriel Dufay et Camilla Bouchet ont traduit ces mots. Gabriel Dufay a également élaboré un long dialogue avec l’écrivain. Ce livre d’entretiens, Ecrire c’est écouter, est publié par l’Arche. Il est très intéressant, mais on peut voir les deux spectacles sans ces sources lumineuses.
Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Etincelles est un montage qui lie un texte, quatre courtes pièces inédites, sept poèmes sans titre. S’il fallait trouver un fil, un thème, on dirait qu’il est question du temps.
On est immédiatement saisi par l’espace, ses plans inclinés comme des chemins qui descendent vers le plateau, montent vers les cieux, plate-forme, panneaux translucides, saisi par les tons, les lumières, quelque chose de mystérieux et d’envoûtant qui doit beaucoup à l’équipe artistique réunie. Margaux Nessi pour la scénographie, Séblan Falk-Lemarchand pour les lumières –et jusque dans les moments ténébreux, on ne perd rien des visages, des expressions. Le son de Samuel Robineau est présent, mais jamais ne paraphrase. Les costumes d’Aude Désigaux sont d’un dessin pur, jusqu’au plus simple.
L’essentiel repose sur un groupe d’interprètes profonds, à fortes personnalités. Le premier à paraître est Didier Sandre, portant de sa voix grave et troublante, un très beau texte : Quand un ange passe par la scène, que l’on a pu lire dans le livre d’entretiens cité. Suivent les pièces, séparées par les poèmes. Si l’on arrache les arguments au style, à l’écriture, ils peuvent apparaître simples. Mais les traductions de Camilla Bouchet, Marianne Ségol, Terje Sinding, Gabriel Dufay lui-même, mettent en valeur la complexité des situations, des paroles, des sentiments. Tout est trouble et inquiétude.
On ne résumera pas ici ce que l’on pense percevoir des faits. On ne peut que louer le mouvement général de la représentation et l’art enthousiasmant des comédiennes et comédiens. Anna Cervinka, toujours magnifique, Clément Brisson, remarquable, Sefa Yeboah, que l’on ne connaît pas encore très bien, et, révélation délicieuse, Morgane Real.
On pourrait commenter sans fin ce travail impressionnant et très bouleversant qui, en une heure, donne une idée forte de l’art de Jon Fosse. Une heure dense et très légère en même temps.
Une heure également pour Vent fort. Un travail conduit par la compagnie Incandescence. Pas évident de réunir les financements. Vent fort avait été présenté quelques jours à Créteil avant l’été. Une mise en scène très soignée avec scénographie animée de vidéos, de sons, de musique.
La voix très belle de Founemoussou Sissoko, sa présence magique, donne une couleur de conte lointain à une situation qui peut sembler prosaïque. Un homme de haute stature, visage clair, léger accent –il est Danois- délivre le récit de son malheur. Thomas Landbo dit son désarroi. On dirait un personnage arraché à une tragédie antique. Mais celle qui le trahit pourrait appartenir à une comédie de mœurs contemporaine. Alessandra Domenici, elle aussi léger accent –mais italien- donne une énergie tout en retenue au personnage, face à Kadir Esroy, le jeune homme. Venu de l’école du TNS, grand parcours déjà, il impose sa présence forte, mais douce.
Une chorégraphie spirituelle fait vibrer le plateau : Kaori Ito et Corinne Barbara sont passées par-là.
On ressent dans ce spectacle, dans ce texte, ce qu’il peut y avoir d’ironique, de cocasse dans ce que veut Jon Fosse. Mais on n’ose pas rire, même dans les moments franchement comiques, comme si l’on était encore sous le joug de Claude Régy… Or, le livre d’entretiens de Jon Fosse et Gabriel Dufay nous le fait comprendre. Libérons nous !
Studio de la Comédie-Française, 18h30 du mercredi au dimanche inclus, jusqu’au 2 nov. Les textes ont été traduits par Camilla Bouchet, Marianne Ségol, Terje Sinding et Gabriel Dufay mais ne sont pas encore publiés.
L’Echangeur, à Bagnolet, présente « Vent fort » jusqu’au 17 oct.
Le théâtre de Jon Fosse est publié à l’Arche. « Écrire c’est écouter », livre d’entretiens de Gabriel Dufay avec Jon Fosse également.