Il arrive que l’on n’ait pas le temps d’écrire longuement et régulièrement sur des spectacles importants. Avant de revenir avec plus de précision sur ces trois pépites, un aperçu.
« La Dispute » de Mohamed El Khatib
Une douzaine d’enfants présente, en alternance –ils sont pour moitié sur le plateau + une filmée- le résultat d’un travail avec l’écrivain et metteur en scène Mohamed El Khatib, artiste qui se renouvelle sans cesse.
Ils avaient 8 ans quand tout a commencé. Ils ont neuf ans. Ils sont merveilleusement sensibles, intelligents, courageux et dignes.
« La Dispute » parle des disputes qu’ils ont vu éclater entre leurs parents et qui annonçait un divorce, une « séparation » comme ils disent, filles et garçons.
Sur un plateau fait d’éléments de jeu de construction style LEGO, et manipulant parfois de grandes pièces, jouant de la flûte ou d’autres instruments de musique pour deux d’entre eux, ils font face et au public à qui ils posent des questions espiègles, et à leur souffrance.
Car tous ces enfants ont subi des cassures, vivent des incertitudes –l’une d’entre eux n’a jamais connu son père- mais ils ont de l’humour, de l’esprit, ils sont drôles, solidaires, sobres, stricts. Ils connaissent leurs partitions. Ils sont pleins de charme mais n’en jouent pas. Mohamed El Khatib les porte avec admiration. Et répétons-le, ils ont une dignité sans rigidité qui force l’admiration.
Espace Cardin, Théâtre de la Ville, dans le cadre du festival d’Automne, jusqu’au 1er décembre puis en longue tournée. Durée : 1h00.
N’oubliez pas la reprise prochaine des « Sonnets » de Shakespeare au Théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, travail avec les jeunes, dirigé par Jean Bellorini et Thierry Thieû Niang.
« L’Effort d’être spectateur » de et par Pierre Notte
Le titre, texte publié aux Solitaires intempestifs, dit parfaitement le fil de cette prouesse artistique, cette vraie-fausse conférence théâtrale, ce morceau magistral, ce poème inouï : Pierre Notte au meilleur de lui-même ; cocasse, injuste, insolent, ultrasensible, mobile, hyper doué, lucide. Un grand homme de théâtre, par l’écriture, la mise en scène, le jeu, la présence. On rit tout le temps, mais on est ému jusqu’aux larmes, parfois. C’est un hymne d’amour au théâtre dans lequel les critiques en prennent pour leur grade…mais c’est de bonne guerre. On a son content de théâtre. Bravo !
Théâtre du Rond-Point, salle Topor, 18h30 jusqu’au 1er décembre. Durée : 1h15.
« Mademoiselle Julie » par Elisabeth Chailloux
Encore « Mademoiselle Julie » ? Oui, mais. Avec un texte français précisé au scalpel, et trois interprètes exceptionnels dont nous reparlerons plus longuement. Dans la petite salle de la Tempête, dans une proximité troublante et dans un temps inassignable, malgré la présence d’un inutile téléphone portable et de musiques de notre époque. Trois virtuoses merveilleusement accordés, dirigés avec le tact d’Elisabeth Chailloux. Ultrasensible et tenue Anne Cressent qui est Kristin, la fiancée et cuisinière. Magnifique. Et puis, dans la partition de Jean, le grand et profond Yannik Landrein, magnifique dans toutes les contradictions de l’employé intelligent et ambitieux, sentimental aussi, blessé et, face à lui, une superbe Pauline Huruguen, Julie déchirée, exaspérante, injuste et bouleversante. Le jeu contredit les observations de la metteure en scène dans la présentation de son travail. On préfère ce que l’on voit, ce que l’on ressent, aux analyses à nos yeux très fausses sur le personnage de Jean. Bref, trois virtuoses au pouvoir pour vous faire oublier que c’est la cinquième fois en quelques saisons que vous revoyez le terrible Strindberg.
Théâtre de la Tempête jusqu’au 8 décembre. Durée 1h30.