Comédien et metteur en scène, il s’est éteint le 18 avril à la Maison des Artistes de Nogent-sur-Marne. Il venait d’avoir 81 ans.
On ne le voyait plus. On n’avait plus depuis longtemps l’occasion d’applaudir son jeu mobile et fin, ses mises en scène allègres. Il s’était retiré depuis quelques années, mais nul ne l’oubliait.
Il appartenait à cette grande famille du théâtre qui n’est pas forcément au premier rang des personnalités les plus connues du très grand public. Pourtant, ceux qui avaient eu l’occasion, sur les planches, mais aussi au cinéma et à la télévision, d’apercevoir sa silhouette solide et son visage expressif, d’écouter cette voix bien timbrée des artistes de sa génération, le connaissaient, le reconnaissaient.
Il était né à Tarbes, encore en pleine seconde guerre mondiale, le 25 mars 39. C’est à Paris qu’il s’était formé à l’art dramatique, auprès de Raymond Girard, puis rue Blanche.
Très tôt, il avait fondé avec Loïc Volard, une compagnie qui portaient leurs deux noms. « Volard-Rosny ». Ainsi présentent-ils leurs spectacles. Ils créent par exemple Cavalier seul de Jacques Audiberti au Théâtre La Bruyère et Loïc Volard figure d’ailleurs dans la distribution. On est en 1967. C’est cette année-là que René Dupuy, qui était propriétaire du Théâtre Gramont où Jacques Rosny avait notamment joué Huis clos de Jean-Paul Sartre et Les Chaises d’Eugène Ionesco, reprend le Théâtre de l’Athénée. Quelques années plus tard, en 1973, Loïc Volard, Jacques Rosny et Jean-Claude Houdinière vont à leur tour reprendre le bail du théâtre marqué par Louis Jouvet. Mais Rosny va reprendre sa liberté, un an plus tard.
Comédien et metteur en scène, il avait débuté professionnellement dix ans auparavant en montant et en jouant Les Folies du samedi soir de Marcel Mithois au La Bruyère. Après avoir quitté la compagnie Volard, Jacques Rosny, comédien très mobile, travaille avec Jean Meyer, Jacques Echantillon, Mario Francheschi (Festival du Marais, 1972), jouant Claude Aveline comme Shakespeare, Achard comme Hugo. Lui-même poursuit son travail de metteur en scène, choisissant Feydeau comme Claudel, retrouvant son cher Audiberti et le merveilleux René de Obaldia qu’il adorera jouer.
Il est, comme ses camarades d’alors, un esprit éclectique. Le théâtre est là pour déployer ses poésies, mais pour divertir, également…et même faire rire ! Il aime la musique douce-amère d’une François Dorin dont il monte Si t’es beau t’es con avec le délicieux Jean-Claude Brialy. On est en 1977 à Hébertot.
Il a toujours aimé la littérature dramatique de son temps : le britannique Jack Pulman qui sera vite happé par le cinéma et la télévision, comme René Ehni dont il met en scène Eugénie Kopronime avec Judith Magre dans le rôle-titre, en 1972, aux Ambassadeurs qui deviendra l’Espace Cardin. Il crée également Félicien Marceau.
Sans doute est-ce avec Monsieur Klebs et Rosalie, l’enchantement Obaldia qu’il se sera particulièrement amusé. Il dirige tout d’abord Michel Bouquet et Annie Sinigalia. C’est à l’œuvre en 1975. Il va à son tour jouer ce rôle en or en 1993, à la Madeleine, auprès de l’irrésistible Anne Jacquemin.
Une année auparavant, il a repris le Caligula de Camus aux Mathurins. Il aimait diriger depuis le plateau et jouer au milieu de ses camarades.
On a sauté de 75 à 93 par Obaldia, mais en fait Jacques Rosny, n’était son retrait précoce du paysage théâtral français, n’aura jamais arrêté de ses débuts en 64 jusqu’à ses derniers spectacles ou films (Bertrand Tavernier l’engage dans L.627) dans les années 90.
En 1979, il signe avec la Comédie-Française : L’œuf de Félicien Marceau. C’est Michel Duchaussoy qui joue le rôle d’Etienne Magis, après Jacques Duby à l’Atelier, des années auparavant et Guy Bedos au cinéma, après un triomphe planétaire de la pièce. Mais le public est déconcerté. Il reviendra plus tard au Français mettre en scène Le Legs de Marivaux.
En 1980, revoici Obaldia, il monte Les Bons bourgeois à Hébertot. Avec, entre autres, une grande brune pleine de charme que l’on découvre à peine, Fanny Ardant. Et puis Rosy Varte et Annick Blancheteau, l’épouse du metteur en scène depuis une dizaine d’années alors. Côté messieurs, Maurice Jacquemont, Jacques Morel, Alain Doutey, le jeune Bernard Alane. Certains critiques n’apprécient pas du tout cette reprise des Femmes savantes, version 1968…Mais reconnaissent le talent de Rosny !
La même année, il dirige Robert Hirsch dans Debureau de Sacha Guitry, à Edouard VII. En 81, Jean Marais reprend le rôle du cow-boy irascible de Du vent dans les branches de sassafras et Rosny est de la partie !
En 1985, il reçoit le prix du Brigadier avec Hubert Monloup pour les décors et costumes et Serge Lama, auteur et interprète de ce spectacle musical : c’est Napoléon qui fait un tabac au Théâtre Marigny.
En 1986, il fait son miel avec le grand Jean-Pierre Marielle dans Clérambard de Marcel Aymé. En 1987, il dirige la pétillante Sophie Desmarets dans Fleur de cactus de Pierre Barillet et Jean-Pierre Grédy. C’est à la Comédie des Champs-Elysées.
On se saurait circonscrire une vie si riche, un chemin si varié : Didier van Cauwelaert, Jean-Noël Fenwick, Jean Larriaga, Pierre Bourgeade comme Neil Simon ou Colin Higgins, il était au plus près de son temps. Mais c’est d’un merveilleux Tchekhov dont on se souvient avec le plus d’émotion, peut-être. La Cerisaie, à la Madeleine, en 1990. Il y avait les aînés, Simone Valère, Jean Desailly, Hubert Deschamps. Il y avait Claude Giraud, Isabelle Leprince. Et puis deux jeunes, frémissants, merveilleux. Nicolas Vaude et Isabelle Carré. Inoubliable.
Sans doute n’avons-nous pas cité d’autres spectacles, d’autres rôles. On l’a dit : il avait dû s’éloigner. Mais il était dans nos cœurs. On pense à sa famille : Annick Blancheteau, elle aussi délicate interprète et metteuse en scène. Et aux enfants, grands, adultes, mais pas d’âge pour le chagrin : Alexandre et Valentine.
Nous sommes dans un triste moment et ce matin, c’est un autre grand que nous saluerons un peu plus tard, qui s’en est allé : Claude Evrard. Pour Jacques Rosny, une page FaceBook/livre d’or a été créée.