Agnès Berthon, ultime envol

Comédienne indissociable des créations de Joël Pommerat depuis plus de vingt ans, elle s’est éteinte dimanche dernier, vaincue par un cancer. Ses obsèques se déroulent aujourd’hui à Narbonne.

Visage pur, inoubliable, voix très prenante, du plus rauque au plus aigu, si elle le voulait, regard bleu-gris profond, silhouette d’une minceur allant jusqu’à la maigreur, Agnès Berthon était une artiste rare et frappante. Très féminine et très androgyne, spectaculaire lorsqu’elle jouait les David Bowie avec une fascinante évidence. Une femme troublante, une comédienne profonde, sensible, mobile.

Cette grande artiste s’est éteinte dimanche 17 août, vaincue par un cancer des poumons contre lequel elle avait vaillamment lutté. Elle était née jumelle, le 23 juin 1959, à Alger. Elle avait à peine plus de 66 ans.

Forte personnalité, on l’avait repérée même dans de petits rôles, tel celui qu’elle jouait dans Liliom, mise en scène très fluide et belle de Christian Benedetti. C’était il y a bien longtemps au Théâtre de la Tempête, au temps de Jacques Derlon. C’était dans la saison 1990-1991. Agnès Berthon appartint à la compagnie de Christian Benedetti, de 1989 à 1994 et fut son assistante à la mise en scène d’Ivan le Terrible en 1992.

Agnès Berthon avait grandi à Nice, fait ses études à Montpellier. A Paris, elle rate le conservatoire, comme cela est arrivé à de nombreux grands talents…Heureusement, cela ne la décourage pas, et elle travaille donc quelques années durant, avec Benedetti. Mais connaît une suspension, trois ans durant.

Sa rencontre avec Joël Pommerat, en 1997 allait infléchir tout son parcours. Il l’engage après une longue conversation, mais sans jamais l’avoir vue jouer. Elle entre dans la compagnie en faisant partie du spectacle Au monde en 2004. Dès lors, elle participe à toutes les créations, et, comme ses camarades, elle est complètement investie dans le travail. Suivent en 2006, Cet enfant, Les Marchands. Puis en 2008, Je Tremble (1 et 2), en 2010, Cercles/Fictions, en 2011, Ma Chambre froide, en 2013, La Réunification des deux Corées, avec reprise et métamorphose en 2024, à la Porte Saint-Martin, en 2015, Ca ira (1) Fin de Louis, spectacle lui aussi repris à la Porte Saint-Martin en 2022.

Tout en se fondant dans la troupe, Agnès Berthon était toujours singulière et singulièrement distinguée par le public. Le bel ovale de son visage, ses grands yeux, sa beauté classique, sa présence, l’intelligence de son jeu, son engagement farouche sur le plateau, tout faisait qu’elle était un peu à part. Non pas star de la troupe, elle n’aurait jamais voulu de ce statut, mais forte, très forte personnalité. Lorsqu’on avait l’occasion de parler un peu avec elle, sa réserve, sa discrétion imposaient une distance sans froideur. Sa culture déliée, son esprit illuminaient ses paroles.  

Le directeur du théâtre, Jean Robert-Charrier a écrit un très beau texte sur Agnès, une déclaration d’amour, littéralement.

Sur un plateau, les ultimes images d’Agnès Berthon, inoubliables, c’est ce personnage extraordinaire sanglée dans un costume blanc et brillant de feux de music-hall : David Bowie, soudain.

Durant toutes ces années, Agnès Berthon avait tourné dans pas mal de courts métrages, très peu à la télévision et avait aussi été engagée par des cinéastes intéressants. Ainsi en 2018, Un couteau dans le cœur de Yann Gonzalez, avec Vanessa Paradis. Elle y était une marchande d’oiseaux, une oiselière. En 2022, elle est Flavienne, dans Captives d’Arnaud des Pallières. Cela se passe à la Salpêtrière, en 1894. Une distribution foisonnante, avec notamment Mélanie Thierry, Josiane Balasko, Yolande Moreau, Marian Foïs, Carole Bouquet, pour ne citer que quelques actrices. Enfin, le destin veut que le dernier film qu’elle ait tourné s’intitule Immortelles. Caroline Deruas a réuni Lena Garrel et Louiza Aura, les jeunes filles de 17 ans, et, Emmanuelle Béart, Valeria Giocante, Gérard Watkins, Adama Diop, Alain Libolt, entre autres. Le film n’est pas encore sorti. On retrouvera Agnès Berthon en professeur de philosophie.

Aujourd’hui, jeudi 21 août, rendez-vous à Narbonne, 16h, église Saint Bonaventure, suivi de l’inhumation au cimetière de Bourg.

Lisez ici le texte de Caroline Deruaz, sur Instagram.

Agnès, la classe punk incarnée
Il n’y avait rien de conventionnel chez toi Agnès, pas une once d’énergie gâchée à essayer de se conformer au moindre diktat que ce soit.
Ma première vision de toi, elle est presque surnaturelle. Tu étais l’oiselière d’Un couteau dans cœur. Tu ouvrais la porte d’une pyramide qui donnait sur un autre monde. Sur le tournage on était conquis.e.s par la grâce de ta singularité. Coup de foudre instantané. Puis je t’ai vue au théâtre dans des créations de Joël Pommerat, Notre dame des hormones… À chaque fois, une apparition hors norme, quasi-divine.


Quand je cherchais Madame Coum, la prof de philo rêvée pour mes Immortelles, c’est ton visage qui s’imposait. Je me souviendrai toujours de la joie avec laquelle tu as accueilli ce film, ce personnage, une joie presqu’enfantine, pourtant la maladie était déjà là et imposait déjà son lot de torture.


Dans la classe où tu tenais avec majesté ton rôle, les comédiens/figurants qui jouaient tes élèves sont tombés en amour pour toi. Inoubliable professeure de philo qui ouvre sans voir les portes de l’impensé, du désavoué.

Toute l’équipe t’entourait pour t’aider à affronter les douleurs qui t’étreignaient entre les prises.
Je me souviendrai toujours de toi sur nos derniers jours de tournage des rêves en Bolex, en équipe plus que réduite et sans aucun confort. Tu me disais que c’est ce que tu préférais, ce genre de tournage là, cette fabrication artisanale. Ce joyeux bricolage artistique. Et moi, je me disais que je voulais vieillir comme toi.
Je me sens si chanceuse d’avoir croisée ton chemin, d’avoir pu te regarder, t’écouter, te filmer, si reconnaissante que tu te sois lancée dans l’aventure de notre film avec autant de joie et d’entrain malgré la difficulté.
Je suis si triste d’apprendre ton départ avant même que tu aies pu voir ce film qu’on a fait ensemble. C’est bien secondaire, mais c’est notre histoire à nous, ce qu’on a eu tant de joie à partager. Mais j’ai hâte que tout le monde puisse profiter de tes cours de philo dans nos Immortelles. Chère Madame Coum forever, chère Agnès