Alice Laloy, meneuse de « je »


L’artiste propose, avec Le Ring de Katharsy, un très étrange spectacle, suite d’affrontements violents de deux équipes, face à face, sous le regard d’une femme qui semble tout diriger.

Alice Laloy est unique dans le paysage artistique. Plasticienne, raconteuse d’histoires, metteuse en scène, attentive à toutes les formes d’expression, elle se renouvelle de spectacle en spectacle. Elle ne s’appuie pas sur ses réussites. Elle fait, à chaque fois, table rase.

On peut tirer des fils, bien sûr, d’une recherche à une autre. Il y a des constantes dont la première pourrait être la marionnette. De Kleist à Craig, Alice Laloy semble fascinée par le trouble que procurent l’inanimé et les jeux du vivant et de l’inanimé.

Avec Le Ring de Katharsy elle s’aventure du côté d’un univers dont, personnellement, nous ne connaissons rien : celui des jeux vidéo. Comme elle le dit, dans un entretien audiovisuel venant à l’appui d’un bref extrait du spectacle, il s’agit en quelque sorte « d’un jeu vidéo artisanal ».

On est pourtant dans le vif du théâtre. Lorsque l’on pénètre dans la grande salle du TNP-Villeurbanne, sur le plateau, il y a, prenant une place imposante, une construction métallique très peu lisible. Une grille, un gril en fait, sur laquelle sont accrochés des objets, mais on ne les distingue pas bien. Cet imposant élément va monter jusqu’aux cintres. Il surplombe le plateau. D’autant plus menaçant, qu’à intervalles réguliers, des objets tombent. Tombent tout droit et demeurent droits… Une prouesse. Question de poids bien calculé et sans doute de puissants aimants.

Précisons, c’est ce qui frappe le plus, qu’ici, tout est couleur de cendre. Gris. Comme si les nuées d’un volcan étaient tombées là et avaient refroidi. Comme un monochrome de Hans Op de Beeck, est-il précisé dans le document que l’on remet aux spectateurs. Un artiste belge (né en 69) qui aime le plâtre mou gris, nous dit-on.

Tout le décor, les éléments de décor, tous les interprètes, au fond, monumentale comme une Reine, Kartharsy elle-même, qui donne des ordres et tout à l’heure chantera, gris, tout est gris. A jardin et cour, deux hommes. Les joueurs de la suite de parties qui vont se déployer sous nos yeux. Eux, ils sont en couleurs, en quelque sorte. Des sortes de tenues sportives, sans grande recherche. Mais en couleurs.

Car, pour le reste, sur le grand champ de gris qui est le « ring » et les « personnages » qui, obéissant aux ordres, vont se battre en une chorégraphie extrêmement bien réglée, il n’y aura pas de couleur pendant près de cinquante minutes. Première apparition : une carotte d’un bel orange.

Musique, variations sonores, musique encore, langage corporel digne des plus grandes pistes, acrobates, contorsionnistes, filles et garçons, précis, souples, éblouissants, se battent, sont battus, vont leurs chemins sans que l’on comprenne tout –avouons-le, encore- sous les ordres de la Reine de cette étrange ruche et des deux « joueurs ». Sans doute pourrait-on les nommer « avatars ». Délégués des deux hommes qui se font face, de loin.

Inutile de préciser qu’ici, le texte, les paroles, sont rares et peu compréhensibles clairement. Des écrans projettent les résultats des joutes. Bref, oui : « un jeu vidéo artisanal ». De l’émotion ? Esthétique, oui, car tout est très travaillé. Mais Le Ring de Katharsy est plus une « pièce » plastique, qu’une pièce à susciter des mouvements dramatiques sensibles. Quant à la « catharsis », évidemment, on y pense…

Le public, jeune mais pas seulement, fait un triomphe à ce spectacle coup de poing.  Alice Laloy parle à son temps. Eveille.

Théâtre National Populaire de Villeurbanne, du mardi au vendredi à 19h30, samedi à 18h00, dimanche à 15h30. Durée : 1h30. Jusqu’au 19 octobre. Tél : 04 78 03 30 00. Tenp-villeurbanne.com