Quand un artiste est à part, original, on craint de se mettre à l’écriture parce que l’on est toujours en dessous de ce que l’on a ressenti. Voici trois grands caractères. Très différents.
Honneur à la plus jeune. On l’avait repérée à La Loge, en 2016. Elle jouait dans une version très particulière de 4.48 Psychose de Sarah Kane. Une mise en scène de Brune Bleicher qui avait permis au public de prendre la mesure d’une présence, d’une voix très personnelle et belle.
Anna Bouguereau avait déjà un peu travaillé, après sa formation et a poursuivi depuis son chemin.
A Avignon, elle a imposé sa radieuse intelligente en interprétant un texte qu’elle a composé. Joie est un bijou de délectation sensible, macabre –on y parle d’enterrement- mais le texte est espiègle et spirituel.
Auteure, Anna Bouguereau connaît la concision, l’ellipse. Elle ne s’attarde pas. Elle va à la vitesse des pensées qui se bousculent dans la tête de la narratrice.
Joie ! Elle a choisi d’intituler son monologue Joie. L’une des tantes de la jeune femme qui s’adresse à nous vient de mourir. Un enterrement, son premier enterrement. Une longue table couverte de bouquets, des lumières très bien dosées de Xavier Duthu, une mise en scène incisive de Jean-Baptiste Tur et une collaboratrice artistique fine, Alice Vannier.
Ce spectacle a immédiatement été l’un des beaux succès du off. Et cette Joie a permis de mettre en valeur tous les dons d’Anna Bouguereau. Une haute silhouette, sensible et sensuelle, un regard en amande, des yeux de chat, un visage un peu slave, une manière harmonieuse de bouger. Cette voix, déjà louée mais dont elle n’abuse pas. Elle est stricte, rigoureuse. Ferme. Autoritaire et douce.
Anna Bouguereau, auteure, possède une alacrité grisante. On rit beaucoup car ses pensées battent la campagne. N’en disons pas plus ! On retrouvera Anna Bouguereau, c’est certain !
C’est une autre personnalité de femme qui aura marqué le festival off. Une artiste que l’on connaît et dont on suit le travail depuis longtemps. On connaissait l’adaptatrice, la metteuse en scène, la directrice d’acteurs, l’intellectuelle.
On découvre l’auteure et la comédienne. Et dans un exercice très particulier : celui d’une quête personnelle, une quête du père. La quête de la vérité de sa naissance et de sa vie.
Myriam Saduis réside et travaille principalement en Belgique. Après La Nostalgie de l’avenir d’après Tchekhov en 2012 et Amor mundi/Hannah Arendt en 2016 que l’on a vu en France, elle a donc écrit Final cut.
Elle l’a interprété, seulement accompagnée de Pierre Verplancken, durant tout le festival.
Un texte ardu, dense, tout en ruptures mais avec une armature très souple et solide. Allers et retours. Une mère italienne, catholique, ayant vécu en Tunisie. Un père tunisien, musulman. Disparu ou plutôt effacé par la volonté des adultes venus s’installer en France, après les événements de Bizerte.
Derrière un bureau, cette femme brune, au visage volontaire mais tendre, au regard sombre, profond et doux, à la voix très bien placée, nous raconte son histoire. Son enquête.
Elle se lève, se déplace, danse. La présence, discrète et claire de Pierre Verplancken est très séduisante.
Un appui d’images, mais sans excès. Isabelle Pousseur, metteuse en scène délicate et lucide, qui dirige le théâtre Océan Nord, à Bruxelles, là où travaille Myriam Saduis, a participé à la mise en scène.
Une bande-son avec chansons, une création de Jean-Luc Plouvier, des lumières de Nicolas Marty, des conseillers artistiques, un travail vidéo de Joachim Thôme, l’interprète a su s’entourer.
Elle sait trop que le théâtre est question de collectif et que, pour donner plus de force à cette histoire si intime et bouleversante, il faut être parfait.
Le public ne s’y est pas trompé qui a tout de suite fait salle comble à la Manufacture, après des représentations triomphales au Festival de Carthage, Tunisie oblige, où le spectacle a été créé.
La construction du texte est remarquable, comme l’est l’interprète, avec son timbre aux moirures fermes. Une interprète qui se garde de tout pathos, comme se tenant à distance.
On reverra Final cut dès octobre, à Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles, puis en tournée en Belgique. En attendant d’autres rendez-vous.
Enfin, signalons, un nouveau venu dans le off. Un journaliste qui aime le cinéma, le théâtre, auteur de livres très documentés et aimants, Henry-Jean Servat.
Des premières années Libération à Paris Match, en passant par la télévision et la publication de nombreux albums, son amour des artistes fait merveille. So chic est une conférence amicale et déliée au cours de laquelle le reporter-écrivain nous fait pénétrer dans l’intimité des grands et grandes de ce monde, de Michèle Mercier à Dalida, de Soraya à Arlette Laguiller, sans oublier Brigitte Bardot, bien sûr. Pour n’en citer que quelques-unes. Le Pape Jean-Paul II est également présent, pour une représentation théâtrale unique, donnée dans sa résidence de Castel Gandolfo, le 28 juillet 1988.
A la demande du Pape, qui avait aimé et pratiqué le théâtre dans sa jeunesse, écrit des pièces, Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc de Charles Péguy, mis en scène par Jean-Paul Lucet avec Bernadette Le Saché, Catherine Salviat, Françoise Seigner avait été donné. En présence d’Antoine Vitez, nommé alors administrateur générale de la Comédie-Française. Les échanges du Pape Jean-Paul II et de Vitez, ancien militant communiste, ont fait l’objet depuis d’une pièce de Jean-Philippe Mestre, donnée avec succès.
C’est l’une des histoires savoures racontées par Henry-Jean Servat, témoin de cette rencontre improbable qui fit s’évanouir Françoise Seigner, trop émue…Dans une langue française très riche, avec cette manière très policée et savoureuse de s’exprimer, ce conférencier ravit le public !
« Joie », Train Bleu, jusqu’au 24 juillet, 16h40. Durée : 50 minutes.
« Final cut », La Manufacture, jusqu’au 25 juillet, 18h10. Durée : 1h30.
« So chic », Mercure Pont d’Avignon, jusqu’au 28 juillet, 21h00. Durée : 2h00.