Baptiste Guiton, dans les pas de Macbeth

Le jeune metteur en scène a choisi la pièce remarquable du Britannique contemporain David Greig, qui, avec « Dunsinane » donne une suite à la tragédie de Shakespeare.

Baptiste Guiton est un artiste aux choix puissants. Il s’est formé comme comédien à l’Ecole de Saint-Etienne, a travaillé sous la direction de personnalités fortes, de Jean-Claude Berutti à Jean-Paul Wenzel ou François Rancillac, intégré la filière mise en scène de l’ENSATT. Son chemin s’est élargi avec le temps et il a joué sous la direction de Christian Schiaretti, d’Alain Françon, avant de signer ses premiers spectacles il y a une douzaine d’années. Depuis 2017, il est artiste associé au TNP-Villeurbanne, a fondé sa propre compagnie, l’Exalté. Il n’a jamais arrêté de travailler, puisant dans des répertoires la plupart du temps contemporains. Depuis deux ans, Baptiste Guiton est également en résidence de création à la Machinerie-Théâtre de Vénissieux.

C’est dans le « petit » théâtre du TNP qu’on le retrouve ces jours-ci. Il signe un remarquable spectacle que l’on aimerait beaucoup voir repris, et qui ne se donne pour le moment que jusqu’à la fin de cette semaine.

Baptiste Guiton est revenu à David Greig dont il avait déjà monté Lune jaune, la ballade de Leila et Lee, il y a six ans. Un auteur né à Edimbourg il y a cinquante ans. Une longue carrière, mais un dramaturge peu mis en scène en France.

Il semble s’être essayé à des formes très différentes. Dunsinane date de 2010 et c’est la Royal Shakespeare qui l’a créée au Hampstead Theatre. D’après ce que disent les documents, Dominique Hollier l’a traduit et certaines de ses pièces ont été données à la Manufacture des Abbesses, au Petit Hébertot, à Confluences.

Après avoir monté Lune Jaune au théâtre, Baptiste Guiton, réalisateur radio très prisé, l’a mis en ondes ainsi que Le Monstre du couloir et Brewers Fayre.

Avec Dunsinane, on est au cœur d’une pièce ambitieuse et puissante, très convaincante. On est « après Macbeth ». Dunsinane est le nom de la forteresse où s’était réfugié Macbeth à la fin de la pièce de Shakespeare. Le criminel, assassin et usurpateur, tyran terrible, a été tué. Son épouse, celle qui l’avait poussé aux meurtres et à la prise de pouvoir dictatoriale, est défaite…Mais pas morte. Sous son nom de Gruach, elle est là et attend son heure.

Malcolm, qui a succédé à Macbeth, est faible et ne tient que parce que les Anglais le soutiennent…

Que va-t-il se passer ? Les soldats sont là, lancés dans des batailles dont ils ne saisissent pas les enjeux. Il y a des scènes de guerre, difficiles à représenter. Des moments de rencontres larges, de discussions, de face-à-face entre les ennemis. Il y a des moments d’intimité.

Tous ces moments très différents, Baptiste Guiton les maîtrise. Le décor, un grand praticable qui semble de métal sombre, comme une machine de guerre à lancer à l’assaut. Il ne cesse de tourner, manipulé à vue par les comédiens. Des plates-formes, des escaliers, composent des espaces de jeu très différents. Deux grands panneaux à transparence, comme des plaques métalliques à fin grillage, prennent ou arrêtent la lumière. Une scénographie de Quentin Lugnier, des lumières de Sébastien Marc, du son signé Sébastien Quencez, forment un univers oppressant, menaçant, idéal. Et parfois apparaissent des colonnes, et il suffit de pans de tissu.

Les costumes s’inscrivent à merveille dans cet espace. Aude Desigaux les a imaginés.

Un peu à la manière de Thomas Jolly dans son grand cycle Shakespearien, Baptiste Guiton imprime un mouvement vif aux scène, mais prend soin de bien caractériser les « personnages ». Il a réuni une remarquable distribution. Très bien dirigés, tous engagés de toutes leurs fibres dans la représentation. La traduction de Pascale Drouet est fluide, précise.

Un praticable, une distribution importante, des scènes bien réglées et harmonieuses. Photographie de Michel Cavalca.

On comprend donc tout clairement. La tragédie se développe selon le récit d’un jeune soldat, un enfant soldat. La présence, le talent de Luca Fiorello sont frappants et cette présence apporte une sorte de douceur à l’ensemble, même s’il est pris dans des épisodes cruels et qu’il relate des événements cruels.

La pièce est articulée selon des affrontements âpres et des ententes dont on sait bien qu’elles ne tiendront pas longtemps. La plupart des soldats sont joués par des élèves de seconde année d’Arts en scène et ils sont bien. Bien cadrés et ont de belles personnalités. Ils endossent aussi, chacun d’autres rôles. Citons : Clément Bigot, William Burnod, Ludovic Payen, Léo-Paul Zaffran.

Quant aux protagonistes ils sont portés par de très bons interprètes. Tommy Luminey, Malcolm, le roi d’Ecosse, a l’autorité fluctuante qu’il faut au personnage, Logan De Carvalho est Eric. Vincent Portal, Macduff, lieutenant écossais et Pierre Germain, Egham, sergent anglais, accompagnent la haute figure de Siward, général anglais. Gabriel Dufay lui offre sa stature, sa noblesse naturelle. Il donne à cet officier troublé par les circonstances, humain trop humain, mais qui ne relâche pas pour autant son autorité et ne perd pas son sens du devoir, il hauteur remarquable.

Peu de femmes, dans ce monde de la guerre. Tiphaine Rabaud-Fournier, fine et gracieuse est la Comtesse de Moray et « la fille des poules », très belle partition.

Et puis il y a celle qui fait le vrai lien avec Shakespeare, Gruach, la reine. Clara Simpson est une interprète très douée, profonde et sensible. Elle donne à cette femme combattante, énigmatique pour tous les autres, une présence solaire et mystérieuse à la fois. Elle offre au personnage très ambivalent une complexité idéale. Elle est parfaite !

On a rarement l’occasion de découvrir des pièces neuves, des distributions cohérentes, des spectacles accomplis. Celui de Baptiste Guiton est de ce point de vue unique dans le paysage actuel…Ne le ratez pas !

Théâtre national Populaire, Villeurbanne. Théâtre Jean-Bouise, à 20h30 jusqu’à vendredi 7 février et à 18h30, samedi 8 (dernière). Durée : 2h10 sans entracte. Tél : 04 78 03 30 00. Le texte est édité aux PUM (Presses universitaires du Midi) dans la traduction de Pascale Drouet.