Baro d’evel ou laissez parler les p’tites matières

Dans la cour du lycée Saint-Joseph, la compagnie franco-catalane offre une éblouissante divagation à partir d’un titre en forme de question : Qui som ? Interrogation existentielle, de nos présences, ici et là, jusqu’au ciel étoilé. Et tout un feu d’artifices de matières, de la céramique au crépon. Eblouissant.

Ils sont deux, qui se connaissent depuis longtemps, deux que l’on admire depuis leurs premières créations. Elle, pas immense, toute en douceurs, beau regard, Camille Decourtye. Lui, grand, tout en nerfs et muscles longs, angles, Blaï Mateu Trias. Elle est française, il est espagnol de Catalogne. Ils se sont rencontrés à l’école, au Centre national du cirque de Châlons-en-Champagne. En 2000, avec quatre camarades, ils ont fondé Baro d’evel cirk compagnie, un collectif et créent leur premier spectacle, Porque no ? Déjà une question. Ils travaillent dans la rue, puis sous chapiteau et aussi dans des salles. Ils ont le cirque au cœur, partagent leurs espaces, parfois, avec des animaux, invitent volontiers des enfants. Près de vingt-cinq ans après leurs débuts, ils ont égrené une quinzaine de spectacles originaux. Depuis 2006, Camille Decourtye et Blaî Mateu Trias sont les responsables artistiques de la compagnie. Mais tout se partage. Pour Qui som ?, soulignons l’apport du céramisteSébastien De Groot, le travail sur les couleurs et les matières de Benoît Bonnemaison-Fitte.

Lluc Castells, costumes inventif et scénographie, a mis au point un grand rideau de papier crépon dans des gris et noirs, d’une beauté, d’une magie, extraordinaire. Le soir où nous avons découvert Qui som ?, un vent sans violence s’engouffrait dans la cour, donnant une vie hallucinante au grand rideau, se mouvant, bougeant, tour à tour inquiétant et rassurant, comme la mer…

Rien que pour cette invention Qui som ?, avec tous ses interprètes et collaborateurs, est un spectacle unique qui prend en charge, sans agressivité aucune, de très grandes questions. Sous le ciel étoilé du Vaucluse, on peut songer à Blaise Pascal, mais ici rien ne pèse ou ne ligote. Cela commence comme une exposition –et d’ailleurs dans les longs couloirs de l’établissement, on peut admirer des vases colorés, en sortant. Sur scène, ils sont blancs, alignés sur des présentoirs de chaque côté du plateau. Le grand Blaï Mateu Trias s’essaye au tour. Mais les formes ne tiennent pas…Et vont surgir les partenaires, une dizaine.Impeccables mais bientôt glissant dans l’argile…Désordre, désordre. Qui sommes-nous ?

On ne vous racontera pas le détail de ce merveilleux voyage. Du cirque, du théâtre, de la musique, du jeu, de l’inattendu, un petit chien pas cabot, de l’acrobatie, des voix travaillées, des mouvements harmonieux et d’autres, comme des fractures ouvertes. Qui som ? c’est aussi : qui sommes-nous pour avoir à ce point abîmé le monde…Et il faut voir la mer de bouteilles de plastique, bouteilles écrabouillées, indestructibles, surgir et se retirer. Ils ont des images sensationnelles, au sens propre.

Ne racontons pas tout…Juste dire, qu’à la fin, chacun se fait musicien. Toute la salle, des centaines de spectateurs, les suit, confiante. On arrive dans l’autre grande cour du lycée. Et le spectacle continue, sous des nappes de crépon blanc qui volent au-dessus de nos yeux éblouis…Mais ce soir-là, c’est le 4 juillet. La cour d’honneur nous attend pour une longue nuit.

Cour du Lycée Saint-Joseph, à 22h00. Durée : 2h30, promenade dans une deuxième cour comprise. Le spectacle se donne jusqu’au 14 juillet inclus à Avignon, avant Les Nuits de Fourvière, à Lyon, les 19 et 20 juillet. Une longue tournée, en France et en Europe, suit.