Après la reprise de « L’Autre monde ou les Etats et empires de la lune » de Savinien de Cyrano de Bergerac, le comédien et metteur en scène a présenté « Maldoror », plongée fascinante dans le monde du comte de Lautréamont. Une exaltante traversée poétique en toute gravité et grâce.
Un accomplissement. Le sentiment d’un accomplissement, d’une lumière sourde parfois, aveuglante à d’autres moments, mais une lumière qui nous rend plus sensibles Les Chants de Maldoror, œuvre étrange et résistante à la compréhension, une œuvre difficile qui nous a semblé portée par Benjamin Lazar, plus accessible, moins fermée…
Nous serions dans la chambre de ce tout jeune homme qui écrivait la nuit, frappant parfois des accords sur son piano au grand désespoir de ses voisins d’hôtel…Au 23 rue Notre-Dame-des-Victoires, cinquième étage.
Sur le plateau de l’Athénée, on pourrait être aussi sur le pont d’un navire… Adeline Caron et John Carroll ont dessiné l’espace et les costumes.
Seul en scène, mais accompagné d’images projetées signées Joseph Paris et d’un travail sur le son, la musique, de Pedro Garcia-Velasquez et Augustin Muller, l’interprète ne nous lâche pas. Il est dans la simplicité et la densité, l’évidence. Il dit ce texte très difficile avec une apparente facilité déconcertante.
Tout semble couler de source, il n’évite aucune des difficultés du poème. Il les affronte. Mais il a tellement intériorisé le poème qu’il l’a fait sien. Il ne le joue pas mais le vit et efface ainsi les difficultés de compréhension.
Il y a quelque chose de miraculeux dans ce geste artistique.
On repense à Isidore Ducasse, mort si jeune, en 1870, à Paris. Il avait 24 ans, il était né à Montevideo en 1846.
Benjamin Lazar, assisté de Jessica Dalle, cite l’éditeur de l’énigmatique jeune homme, Albert Lacroix. « C’était un grand jeune homme brun, imberbe, nerveux, rangé et travailleur. » Il était, « un étonnant musicien du verbe, un rare symphoniste de la phrase » (qui) « cherchait en frappant son clavier, les rythmes de son orchestration littéraire. »
On pourrait consacrer des pages à Ducasse/Lautréamont. Ici, ce qui bouleverse, est du côté d’une incarnation sans pathos. Il y a de la rigueur en Benjamin Lazar. Il nous enflamme. Regard qui darde, articulation précise mais souple, souffle équilibré, lorsque le poème se fait gémissements ou cris, il nous touche car il n’est jamais dans l’hystérie ou l’emphase, mais dans la musique, dans l’interprétation la plus intelligente et la plus bouleversante.
Un grand artiste, Benjamin Lazar. Par-delà ce défi de nous transmettre ce texte difficultueux, beau et qui souvent échappe, et qui est parfois chargé d’insoutenables images, il le fait avec une grâce aristocratique mêlée d’enfance, de pureté.
« Maldoror » s’est donné du 2 au 5 octobre puis du 15 au 19. Nous n’avons vu que l’avant-dernière représentation. Une tournée se dessine certainement.