Comédienne admirée, au théâtre, comme au cinéma, elle s’est éteinte hier matin, vaincue par un cancer. Elle avait 71 ans.
C’est sa beauté qui frappait d’abord. Une beauté rare, avec quelque chose de très aristocratique et de très sauvage, en même temps. Un visage à l’architecture ferme, mais douce. Très bel ovale d’une brune au teint clair, au regard profond, avec ses grands yeux soulignés de sourcils sombres. Un nez subtilement busqué, qui ajoutait au caractère fort de cette femme à la bouche idéalement dessinée, pleine et sensuelle. Silhouette parfaite, voix envoûtante, dans les graves, mais sans froideur. Une voix de violoncelle. Elle était très impressionnante, Caroline Chaniolleau. Mais son esprit, son rire musical, ses cascades de fous rires, la rendaient proche, simple, directe.
On l’admirait. Elle s’est éteinte hier matin, le 12 juin. Sa grande sœur, Agnès Chaniolleau, une des grandes figures de la SACD, était auprès d’elle. Un cancer mauvais, et détecté il y a quelques mois à peine, a eu raison de sa rayonnante énergie et de sa grâce. Elle avait eu 71 ans le 14 avril dernier. Les deux aînées ont deux demies-sœurs, Adèle Chaniolleau, dramaturge qui a notamment travaillé avec Alain Françon, et Anne, designer.
La photo ci-dessus est prise sur le site de son agent. Merci.
Des comédiennes surgies à l’orée des années 70, Caroline Chaniolleau était la plus belle, la plus frappante par cette beauté fracassante, la plus étonnante par son parcours audacieux, sa liberté, son audace, son intelligence, sa culture, son esprit. Elle était d’un naturel grave, mais elle savait être drôle, très drôle et, à l’heure de la saluer, on peut regretter que les metteurs en scène, les réalisateurs, n’aient pas mieux compris cette composante de sa riche personnalité, ainsi que le souligne Agnès.
On est loin de tout connaître de sa vie. Mais elle était une enfant blessée, tourmentée par la peur de l’abandon. Agnès, sa grande sœur, près de sept ans de plus qu’elle, est le témoin de leur enfance. Leur maman, issue d’une famille juive très meurtrie par la guerre, était d’une nature dépressive. Lorsque Caroline naquit, elle eut un grave accident, des fractures complexes, et l’enfant fut envoyée dans les Vosges, dans la famille de cette mère d’une très grande beauté, et à qui Caroline ressemble beaucoup. Elle grandit donc non loin de sa grand-mère, auprès de sa grand-tante et de son grand-oncle.
« Elle n’a presque pas connu sa mère », souligne Agnès Chaniolleau, très belle, elle aussi. « Maman est morte d’une overdose de médicaments alors que nous étions encore très jeunes. » Il est un peu indiscret de rapporter ces événements, mais ils éclairent le grand caractère tempétueux de Caroline Chaniolleau.
Rien qui puisse en tout cas amoindrir ses talents et le spectre de ses curiosités. Elle était faite pour le jeu, témoigne encore Agnès, qui se souvient qu’elle avait surnommé sa petite sœur, Sarah Bernhardt. Audacieuse, Caroline est passée par le Piccolo Teatro de Milan. Giorgio Strehler y était le maître, exigeant, bienveillant. Une européenne dans l’âme, Caroline, qui jouera longtemps, un peu plus tard, dans la compagnie d’Hans Peter Cloos, Rote Rübe, en Allemagne comme aux Bouffes du Nord. Auparavant, c’est à l’Ecole du Théâtre national de Strasbourg, du temps de Jean-Pierre Vincent, qu’elle fit ses classes fondatrices et joua dans des spectacles, tel La Bonne vie de Michel Deutsch.
Depuis ses éclatantes années 70, elle n’avait jamais arrêté, en fait. Ni au théâtre, ni au cinéma et, il y a un peu plus d’un an, en janvier/février 2023, elle était en scène, sous la direction de Galin Stoev dans Oncle Vania de Tchekhov, à Toulouse, puis à l’Odéon. Elle était Maria Vassilievna, cheveux éclaircis pour l’occasion. Avec Galin Stoev, quelque douze années auparavant, elle était l’une des héroïnes d’un spectacle inoubliable, donné à la Colline, Danse « Dehli » d’Ivan Viripaev. Deux mille onze…est-ce possible, on s’en souvient comme d’hier. Avec un garçon, Fabrice Adde et quatre autres filles, Anna Cervinka, Valentine Gérard, Océane Mozas, Marie-Christine Orry,
Que retenir d’une comédienne qui a travaillé cinquante années durant, dans l’intransigeance, la vitalité, la sensibilité ? La mémoire que l’on a d’une artiste telle que Caroline Chaniolleau est dense et trouble. Parfois, il est difficile de mettre des dates. Brecht aux Bouffes du Nord avec Rote Rïbe et Hans-Peter Cloos, l’image que l’on a dans le crâne, le cœur, est si vive qu’elle semble d’hier. Or elle a des dizaines d’années…Elle s’est inscrite au plus profond. Plus récemment, Don Juan revient de guerre, d’Odon von Horvath, sous la direction de Jacques Osinski, à Grenoble et à l’Athénée. Plus loin encore des mises en scène de Jean-Pierre Vincent, fidèle, de Dominique Pitoiset, d’André Engel, de Sophie Loucachevsky, de Lukas Hemleb, de Joël Jouanneau.
Au cinéma, à la télévision, elle a aussi travaillé sous la direction de réalisateurs qui ont su mettre en valeur et sa beauté, sa photogénie, son tempérament. Dans le désordre, Kurys, Garrel, Moati, Frydland, Allio, Béhat, Feret, Paolo Rocha, Gantillon tant d’autres.
Les comédiens nous criblent d’ondes étranges. Ils ne sont pas seulement les personnages. Ils sont eux. Eux-mêmes. Exposés et mystérieux. Nous pourrions énumérer spectacles, personnages. Mais ce serait artificiel.
Mieux vaut dire. La vie est ainsi. La veille de la mort de Caroline, la dernière des quatre sœurs Chaniolleau, a mis au monde une petite fille. Elle se prénomme Lottie, Suzanne, Caroline.
Sa famille et ses amies et amis diront adieu à Caroline Chaniolleau le 21 juin, à 10h30, Coupole du Crématorium du Père-Lachaise.