Christine Boisson, à fleur d’âme

Magnétique, très intelligente, ultra-sensible, elle s’est éteinte dans la nuit, emportée par une insuffisance respiratoire. Une comédienne rare qui avait préféré le théâtre au cinéma, malgré les films très brillants qu’elle avait tournés.

Une femme. Rieuse et profondément triste. Désespérée et gaie. Une femme complexe qui aura séduit réalisateurs, metteurs en scène, spectateurs. Une beauté singulière, silhouette idéale, brune au regard à la Vénus, corps parfait, beau visage, voix d’enchanteresse, et rire. On le répète. On la revoit, malicieuse, insolente, désirant follement être libre et aimant follement. Christine Boisson, parfois, se ligotait elle-même. « Un homme ça s’empêche », disait Camus, qu’elle lisait comme un frère. Mais elle, Christine, elle se sera trop empêchée.

Elle s’est éteinte la nuit dernière, emportée par « la maladie des fumeurs » a dit sa fille, Juliette Kowski, aussi blonde que sa mère était brune. Même forme de visage, même front haut légèrement bombé. Comédienne, elle aussi. Juliette a demandé que l’on parle de la « grâce » de sa mère, femme gracieuse, pleine de grâces, effectivement.

Christine Boisson était née le 8 avril 1956 à Aix-en-Provence. Son père est pilote de chasse. C’est au Maroc qu’elle grandit. Avant dix ans, elle revient en France et accomplit ses études secondaires à Paris avant de tenter sa chance de jeune fille des sixties dans l’agence de mannequins de Catherine Harlé. On en parle dans une chanson de Dutronc…c’est dire. Pas même le temps de faire ses premières photos, Just Jaeckin la remarque et la convainc de jouer dans le film qu’il veut tourner depuis pas mal de temps…Emmanuelle. Avec la sortie du « remake », on pensait à Christine comme à la survivante. Morte, Sylvia Kristel, mort Alain Cuny, mort Just Jaeckin, morte Emmanuelle Arsan et son mari, sans doute l’auteur véritable d’Emmanuelle, Louis-Jacques Rollet-Andriane.

Et puis voici que le souffle lui manque et que cette femme-flamme s’éteint pour toujours. Sa fille annonce la triste nouvelle.

Après Emmanuelle, Christine Boisson aurait pu continuer à tourner, tourner encore. Comme dans Le Jeu avec le feu d’Alain Robbe-Grillet. Mais elle comprend que c’est son physique ravissant qui lui ouvre les plateaux. Elle ne veut pas. Elle passe le concours du conservatoire et le réussit. Dès lors son chemin se confond avec le plus exigeant du théâtre de l’époque. Années 70, années 80. Elle reçoit l’enseignement de maîtres : Antoine Vitez, Roger Planchon qui la dirigera dans Antoine et Cléopâtre et dans Périclès, Prince de Tyr.

Mais c’est par le cinéma qu’elle va, dans ces années-là, voir sa notoriété exploser. Extérieur nuit de Jacques Bral –elle est conductrice de taxi- la propulse. On est en 1980, à peine. Elle va, dès lors, passionner de très grands cinéastes, tel Michelangelo Antonioni dans Identification d’une femme ou se voir offrir des rôles âpres, tel celui d’Emma La Rouge dans Rue Barbare de Gilles Béhat, en 1982. Une interprétation qui lui vaudra le prix Romy Schneider.

Elle est très demandée, au théâtre comme sur les plateaux. Elle n’arrête jamais. Elle n’arrêtera jamais et ce n’est pas à l’occasion de ce bref message, que nous reprendrons tous les titres. Des dizaines de films, de beaux rôles à la télévision, également, et sur les scènes de théâtre, des personnages magnifiques. Qu’elle rend magnifiques.

Au cours de ce parcours, un moment plus intense que les autres : Harold Pinter l’admire. Il la dirige lui-même en une soirée inoubliable, au Rond-Point avec Lambert Wilson. Ashes to ashes, déchirant. On comprend que le dramaturge aime cette femme extraordinaire. Comme tiennent à elle Claude Régy, Otomar Krejka, Jérôme Savary, Gérard Desarthe, beaucoup d’autres beaux artistes.

Elle a beau s’imposer une discipline dure, physiquement, intellectuellement, parfois elle craque. Elle bascule dans certains excès ; elle est dans un processus vertigineux d’autodestruction. Cela ne la rend pas toujours facile. Mais elle est aimée. Des années après Garrel, Lelouch, Boisset, Chouraqui, Assayas, Laetitia Masson, Maïwenn Le Besco l’engage dans Le Bal des actrices, Eric Valette la dirige dans Une affaire d’état. Et, au théâtre, elle trouve sa famille. C’est celle de Jean-Marie Besset, en son royaume du sud, du Théâtre des Treize Vents de Montpellier aux délicieux sites de son pays natal, Limoux et son festival NAVA. Elle a le sentiment d’être au coeur d’une troupe. Elle travaille beaucoup. Elle est impressionnante. Si impressionnante et si vulnérable à la fois. Déchirante et inoubliable. Mais souriante aussi. Grâcieuse et souriante.