Indissociable de son ami Philippe Avron, comédien de troupe, chez Vilar, Brook ou au TEP de Rétoré, ce comédien intense et poétique, s’est éteint à l’âge de 86 ans.
Il existe un petit bijou publié il y a bien des années chez L’Oizeau rare –oui avec un z. Un recueil de sketches, de précipités dramatiques (dans leur structure) et cocasses (dans leur contenu), un ensemble qui reflète les travaux et les jours de deux complices merveilleux, de deux poètes légers comme plumes et extravagants, Philippe Avron et Claude Evrard. Plus d’une vingtaine d’occasions de retrouver ce duo unique qui fit les beaux jours des cabarets vers la fin des années 50 et les conduisit jusqu’à la télévision… Une quinzaine d’années à faire rire avec esprit, à inventer des situations inattendues, dans l’héritage de l’absurde, mais dans un élan très particulier, que l’on ne peut pas nommer autrement que poétique. Il aura fallu tout le travail de Jean-Gabriel Carasso pour produire ce précieux recueil. Il y en a d’autres, des 33 tours, des 45 tours…Mais ils sont devenus introuvables ou presque.
Philippe Avron écrivait le plus souvent les textes, Claude Evrard était le pourvoyeur d’idées, sur le papier, sur le plateau. Ils étaient irrésistibles et complètement à part. Le duo Avron-Evrard était très célèbre, lorsqu’en 1975, les deux amis, décidèrent de se séparer. Ils n’aimaient pas les recettes et encore moins les redites. Et le théâtre, comme le cinéma et la télévision, les réclamaient de plus en plus pour des rôles qu’ils marquèrent, chacun à sa façon, dans les années qui suivirent.
La critique est enthousiaste lorsqu’ils paraissent : Jean-Jacques Gautier, Pierre Marcabru, Bertrand Poirot-Delpech, du Figaro au Monde en passant par Arts, tout le monde loue ce ton intelligent, tendre et incisif à la fois. Matthieu Galey pense aux dessins de Sempé…
Et sans doute, ce journaliste, écrivain et traducteur, critique dramatique redouté et aimant, diariste passionnant, avait-il là touché quelque chose de très juste : dans la frêle silhouette de Philippe Avron, sa fausse candeur, dans la présence plus dense de Claude Evrard, il y avait cela : un monde à part, presqu’irréel.
Ils reprendront leur joli dialogue, dans les années 90 puis, plus tard, et à Avignon, il y a dix-quinze ans, à la Maison Jean-Vilar.
Mais puisque, près de dix ans après Philippe Avron qui s’est envolé le 31 juillet 2010, à 81 ans, Claude Evrard quitte la scène –lui aussi terrassé par le Covid-19- c’est son magnifique chemin de comédien, particulièrement au théâtre, qu’il nous faut rappeler.
Il était né Claude Thébaud, à Versailles, le 29 juillet 1933. Claude Evrard a été de famille en famile. Il se forme chez Jacques Lecoq, où l’esprit et le corps étaient également engagés, mis à l’épreuve de l’excellence et des prouesses, il rencontre son frère Philippe Avron. Sa vie durant, Claude Evrard mettra son point d’honneur à transmettre : chez Jacques Lecoq, au cours Périmony, à l’Ecole du Passage qu’avait fondée Niels Arestrup (Dom Juan dont il fut le Sganarelle). Claude Evrard dirigea également des stages au conservatoire.
Après ses débuts à Paris, François Maistre, au Poche-Montparnasse, avec André Cellier, puis il participe à l’aventure du TNP et d’Avignon, sous la direction de Jean Vilar et joue Sophocle comme Aristophane, fait un bout de chemin avec Bernard Jenny au Vieux-Colombier pour Claudel, travaille sous la direction de Jean Le Poulain, Antoine Bourseiller, Jean Bouchaud (Les Caisses qu’est-ce ?). Il joue même une pièce de Robert Abirached (Tu connais la musique ?). Avec Guy Rétoré, il trouve un frère qui fait de Claude Evrard un sociétaire du Théâtre de l’Est Parisien (TEP). . Shaw, Claudel, Brecht. De très belles années. Il retrouve la cour d’Honneur d’Avignon, en 79, pour Lorenzaccio de Musset mis en scène par Otomar Krejca et en 1980 pour Le Nouveau Mendoza avec Michel Dubois.
Il va faire une rencontre essentielle avec Peter Brook qui apprécie beaucoup son humanité profonde et sa finesse. Il est de l’inoubliable aventure de La Cerisaie aux Bouffes du Nord, en 81 et 83. Avec Maurice Benichou naît une amitié profonde. Le comédien et metteur en scène dirige Niels Arestrup dans Dom Juan de Molière. Claude Evrard est un merveilleux Sganarelle, roué et irrésistible. Avec le doux Benichou, il jouera dans une version mémorable des Trois sœurs de Tchekhov, devant une maison de l’Ile de la Barthelasse.
Il plaît aux metteurs en scène : Polonius dans Hamlet monté par Patrice Chéreau. Il est également appelé par Jorge Lavelli dans Les Journalistes de Schnitzler et dans C.3.3. la pièce de Robert Badinter consacrée à Oscar Wilde, par André Engel pour Le Baladin du monde occidental. Claude Evrard devient aussi un artiste familier des belles productions du théâtre privé de l’époque : avec Bernard Murat pour Anouilh et Feydeau comme Jean Poiret et Tourgueniev : Un mois à la campagne avec Isabelle Huppert à Edouard VII. Pierre Franck le dirige dans un Atelier irradiant : Le Mal court d’Audiberti avec l’étourdissante Isabelle Carré en 1994, La Panne de Friedrich Dürrenmat, deux ans plus tard. Il crée une pièce d’Alain Stern avec Didier Long et retrouve son cher Maurice Benichou pour Knock de Jules Romains, en 202 et 2003.
Depuis, Claude Evrard avait travaillé avec Dominique Pitoiset pour Sauterelles de Biljana Srbljanovic et, enfin, avec Jean Bellorini dans La Bonne âme du Se-Tchouan de Brecht. Il jouait avec celle qui était sa femme depuis 1959, la ravissante Danièle Ajoret qui bouleversa les spectateurs de la Comédie-Française, à peine sortie du conservatoire avec un premier prix. Elle fut, avant Adjani, une Agnès exceptionnelle, blonde, diaphane, musicale.
Un grand artiste s’efface. Il y a les films, les dramatiques télévisées. Mais son monde était le théâtre. D’abord le théâtre. Et il est inoubliable car avec des êtres comme lui, rien ne s’efface jamais.