Après Het land Nod (Le Pays de Nod), il y a déjà cinq ans, le groupe anversois revient avec un spectacle en forme de cauchemar à couleurs médiévales, The Sheep Song.
Au parc des expositions, leur première apparition au festival d’Avignon, il y a cinq ans, avait fait sensation. Par la démesure –réinvention de la salle Rubens du musée des Beaux-Arts d’Anvers, déménagement d’un tableau monumental- et par l’esprit, l’humour, le rire.
Changement de ton, changement de registre, avec The Sheep Song. Même si la peinture est sans doute encore plus présente, ici. Mais l’on ne peut pas vraiment rire si l’on prend au sérieux ce travail extrêmement sophistiqué plastiquement, extrêmement complexe intellectuellement et profondément dérangeant.
Après le travail de Milo Rau sur L’Agneau mystique, retable des frères Jean et Hubert van Eyck qui date de 1432 et a bénéficié récemment d’une campagne de restauration de plusieurs années, trésor de la cathédrale Saint Bavon de Gand, voici donc les Anversois de FC Bergman qui travaillent au Toneelhuis, qui, eux, se sont perdus dans les salles de la collection Fritz Mayer van den Berg. Ils ont contemplé Margot la folle de Pieter Brueghel l’Ancien, tableau qui date de 1563 et laisse affleurer des monstres que l’on pourrait penser sortis de chez Jheronimus Bosch (1450-1516).
Ce tableau de Brueghel, comme d’autres, inspirent The Sheep Song (Le Chant du mouton). Sheep,pas Lamb.
Le rideau se lève sur un groupe, une masse d’une dizaine d’animaux. Plongés dans la pénombre. Leurs sabots martèlent le plancher. Ils sont collés les uns aux autres. Ils sont petits. Peut-être de jeunes agneaux, justement. Derrière eux, on distingue un animal plus grand. Un bélier ?
Non. C’est un homme dans un costume troublant par sa vérité. Ce grand mouton possède un visage très beau. Il n’a pas les grands yeux bons et profonds de l’agneau de Gand, mais il y a en lui une tendresse, un abandon qui bouleversent. Un profil noble de penseur. Mais oui ! Le comédien se nomme Jonas Vermeulen.
Un jour ce grand mouton aristocratique va vouloir devenir un homme…
Il est l’agneau de Dieu devenu adulte. Dieu apparaît, chenu, barbu, échevelé et grotesque, dans un castelet. Des hommes et femme, visage écrasé par un masque, vont et viennent, dansent, courent. Bientôt ils seront les chirurgiens de l’opération de métamorphose. Un être moitié nu manipule une énorme cloche qui surplombe le public.
Ne racontons-pas tout. Mais on peut dire qu’il y a beaucoup de sexe, un accouchement, des bocaux, des scènes très dures. Un cauchemar. Une fuite perpétuelle, comme dans un cauchemar, justement, où nous échappe ce que l’on croit pouvoir saisir.
On ne sort pas de là indemne. Mais l’ensemble est d’une beauté envoutante. C’est un grand travail. Et si l’on ne comprend pas tout, si tout ce que l’on croit comprendre, se dérobe, on est happé, bousculé, dérangé. Il s’agit bien d’un grand théâtre qui veut la dissolution des différences : règne animal, temporalité, le Moyen Age fond dans le pur présent et nous projette…
L’Autre Scène, Vedène, jusqu’au 25 juillet à 15h00. Durée : 1h30. Puis en tournée jusqu’en mai 2022. Relâche le 20. Spectacle sans paroles, avec quelques bouffées d’italien non traduites mais compréhensibles.