Après nous avoir offert, avec Romain Darolles, une leçon en mouvement de Phèdre, l’écrivain donne sa version du célèbre ballet romantique, sublimé par Samantha van Wissen.
François Gremaud donnait des conférences littéraires dans les écoles. Pour alléger ce qu’il peut y avoir de lourd et d’intimidant et de peu accessible dans le théâtre classique, il avait composé une version de la Phèdre de Racine sur un ton de conteur, empruntant aux sources, donnant des détails amusants, soulignant quelques coïncidences savoureuses.
Il racontait donc Phèdre. Si l’on s’en souvient bien, Vincent Baudriller est décisif dans cette aventure. Directeur du Théâtre de Vidy-Lausanne, après Avignon, il a su comprendre ces facétieux suisses. On découvrit Phèdre ! (le point d’exclamation est essentiel), dans la salle ed spectacles et conférences de la Fondation Lambert à Avignon, en 2019, à la fin du festival. Mais on découvrit également Romain Darolles. Dans l’élaboration artistique de François Gremaud, l’interprète est essentiel. Et Romain Darolles est un artiste extraordinairement intelligent, personnel, audacieux. Idéal !
François Gremaud possède ce don : il voit, il comprend. Avec ses yeux très clairs, son regard pénétrant, ses cheveux coupés courts, il donne le sentiment d’être un voyant. Mais ne le prenez pas pour une personne sévère. Son intelligence le conduit du côté du jeu, de la joie étincelante de ceux qui traversent les apparences, de ceux qui savent lire, voir, et s’intéressent à des domaines très divers. Un homme libre, François Gremaud !
On ne refera pas ici tout son parcours des années d’études, en Suisse –il est suisse- en Belgique. Deux terres d’invention, d’imagination. Après Jean Racine, il met ses pas dans ceux du cher Théophile Gautier, l’amoureux des ballerines.
Allons tout de suite aux Abbesses. Quatre jeunes musiciennes sont sur le plateau lorsque l’on pénètre dans la salle, bien à l’avance. Au fond, quatre interprètes : Léa Al-Saghir, violon, Tjasha Gafner, harpe, Héléna Macherel (parfois dans d’autres moments, Sara Antikainen) flûte, Sara Zazo Romero, saxophone. Et, debout, allant et venant, regardant entrer les spectateurs, faisant signe à un homme assis à cour, un appareil photo à la main, discrètement, une jeune femme au visage complètement dégagé, un visage clair, assez rond, bien planté sur un cou élégant, un front libre, haut, son grand sourire éclatant, son regard doux, sa silhouette tendre, déliée, dans un pantalon large, noir, et un pull fin, à manches longues. Elle porte des chaussures, au début. Un moment elle sera pieds nus. C’est Samantha van Wissen, danseuse de la compagnie d’Anne Teresa de Keersmaeker, femme de tête, d’imagination, qui signe ici la chorégraphie, inspirée de Jean Coralli et Jules Perrot.
Que dire de plus sans abîmer l’art exceptionnel de François Gremaud. Il déploie en mots l’ouvrage. Le situe. Un pédagogue. Mais il va bien plus loin. Il connaît les anecdotes, il voit les signes…C’est mieux qu’un ouvrage savant. Cela renouvelle nos connaissances. Et cela ira jusqu’à déplier le nom même de Samantha van Wissen. Ce qu’elle nous laisse entendre d’entrée, en nous dévoilant le sens que l’on peut donner à ce « wissen »….
Voix très bien placée, élocution fluide et lumineuse, irrésistible jeune femme, artiste radieuse, danseuse admirable qui traduit pour le public les figures très complexes du ballet, elle nous entraîne, elle nous apprend, elle dialogue avec les musiciennes aussi séduisantes et douées qu’elle. En dire plus serait abîmer cette grâce, ce rêve…Immense artiste qui donne à cette Giselle… (avec trois points de suspension) sa puissance enthousiasmante.
Vous pouvez voir et revoir Phèdre ! Et bientôt Carmen incarnée par Rosemary Standley. Promesse de joie complète.
Théâtre des Abbesses/Théâtre de la Ville, dans le cadre du Festival d’Automne, à 20h00 en semaine et en matinée le dimanche. Jusqu’au 30 décembre. Durée : 1h50. Phèdre est reprise également, et il y a des jours où l’on peut assister aux deux spectacles. Tél : 01 42 74 22 77,