Quarante années durant, il aura suivi un chemin très original, composant un univers esthétique unique avec le Théâtre du Radeau. Il s’est éteint la nuit dernière. Il connaissait tous les métiers de la scène. Son dernier spectacle, « Par autan » devait commencer demain, à Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne.
Passion, fulgurance des visions, goût des images qui ne livrent pas immédiatement leur sens mais vous demeurent en tête, comme autant d’énigmes. Le goût de l’aventure et du groupe. Né en 1955, François Tanguy s’est éteint brutalement, des suites d’une septicémie foudroyante. Il luttait contre la maladie depuis assez longtemps.
En 1985, le Théâtre du Radeau s’était installé dans un ancien garage, près du Mans. Il en était la figure de premier plan, le concepteur des spectacles, depuis 1982. La compagnie elle-même existait depuis quelques années et le lieu prit le nom de La Fonderie et devint un espace où l’on savait que l’imagination et la camaraderie étaient au pouvoir.
François Tanguy était un taiseux lorsqu’il ne se sentait pas en accord profond avec les êtres. Il n’aimait pas trop faire de longues analyses de ses créations car chez lui l’intuition était première. Cultivé, curieux, inlassable découvreur des univers d’autres artistes, écrivains, plasticiens, metteurs en scène, il creusait ses sillons avec la simplicité, l’art sûr et la fierté d’un compagnon du devoir.
Durant l’été 1995, à la Cartoucherie de Vincennes, au Théâtre du Soleil, plusieurs artistes s’étaient regroupés. Une grève de la faim pour la Bosnie. Dans la lumière d’Ariane Mnouchkine qui participait à l’action, François Tanguy parlait un peu plus, par-delà le théâtre. Il y avait là Emmanuel de Véricourt, qui dirigeait Rennes, Olivier Py. Maguy Marin avait dû renoncer. Les paroles circulaient. Libres et graves, mais dans la fantaisie aussi, parfois. Et dans ce contexte, François Tanguy se livrait.
Il n’avait pas coupé avec l’enfance. Et ce fut sa force première. Il y avait en lui, d’un physique puissant et doux, un lien profond, solide, avec l’enfant qu’il avait été. Avec son groupe, sa troupe, ses proches, ils jouaient au : « je serais…tu serais…nous serions… ».
Après Item en 2019, on attendait demain, à Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’Automne, Par autan. François Tanguy, qui parfois joua dans ses créations, ne figurait pas dans la distribution. Mais ses proches joueront ils ? A l’heure qu’il est, on peut imaginer que les injonctions du style « le spectacle continue » pourrait être très douloureux, même si toute la personnalité de François Tanguy, toute sa vie sont dans ses créations.
Il y a quelque chose de testamentaire dans Par autan. Vent du sud, vent du sud est, du sud- ouest et qui balaye, violemment, le Languedoc et au-delà.
Par autan veut dire par grand vent. Mais on entend évidemment, en langue française, « Pour autant ». Et cela veut dire, le plus souvent, « pourtant ».
Pourtant, on continue semblait nous dire François Tanguy. Pourtant, je le sais, je me répète, mais je suis embarqué, et je continue. Je maintiens.
Longtemps le Théâtre du Radeau est demeuré amarré à des textes célèbres du répertoire, à des légendes. Dom Juan et Molière, Faust et Goethe et Nervel, par exemple. Ou encore Shakespeare ou Büchner. Puis François Tanguy s’émancipa. Mais on reconnaissait ses modèles, et notamment l’immortel Tadeusz Kantor.
Le miracle avec François Tanguy c’est que si les images se dissipaient sur le plateau, elles demeuraient inscrites pour toujours dans nos mémoires. Rares sont les artistes à tant frapper les esprits. C’est en quoi le discret et rebelle François Tanguy est pour jamais dans nos têtes, nos cœurs. Avec reconnaissance pour lui et ses artistes.
« Par autan » dans le cadre du Festival d’Automne, Gennevilliers. A partir du 8 décembre.
© Jean-Pierre Estournet