Dans « Les Forteresses », l’écrivain croise les voix de sa mère et de ses deux tantes, trois sœurs témoignant du destin des femmes en Iran. Elles sont présentes, mais doublées par de merveilleuses interprètes, et l’auteur est également sur le plateau.
Il est très fort, décidément, Gurshad Shaheman. Un artiste rare et grave, un être à métamorphoses que l’on a connu longue chevelure noire parfois tirée en arrière, ongles laqués de princesse persane, regard profond d’homme à traverser les apparences, et qui, aujourd’hui, sur le plateau de « Forteresses », sa nouvelle création, porte moustache et cheveux courts.
On ne l’avait pas revu depuis Il pourra toujours dire que c’est pour l’amour du prophète, qu’il avait lui-même mis en scène au gymnase du lycée Saint-Joseph à Avignon. Il avait recueilli des paroles d’exilés, obligés à fuir, pour des raisons diverses, leur pays. Dans l’espace, quelques-unes de ces personnes et de jeunes comédiens pour relayer d’autres récits. Pour soutenir la représentation, Lucien Gaudion avait signé une création électro-acoustique. C’était il y a trois ou quatre ans. Ce travail suivait Pourama Pourama, le premier écrit joué et publié de cet artiste né en Iran, venu en France avec sa mère, et qui avait suivi les cours de l’ERAC, l’école d’acteurs de Cannes.
Dans la salle du Centre Georges-Pompidou, des divans sont disposés, à la manière de ceux que l’on trouve dans certains restaurants, près de Téhéran, notamment. On y déguste, allongé, les mets raffinés de la cuisine persane. Certains spectateurs assistent ainsi, depuis le plateau même, au spectacle. Un labyrinthe qui laisse des couloirs de circulation et des espaces dédiés à la parole, au chant, à la danse.
Trois petites estrades, un siège, et une jeune femme pour prendre la parole. Les trois comédiennes franco-iraniennes qui relaient le récit composé par Gurshad Shaheman d’après le récit de sa mère et des deux sœurs de celle-ci. Trois destins marqués par la révolution, puis la guerre de dix ans entre l’Iran et l’Irak. Ces trois femmes courageuses, intelligentes, sensibles sont sur le plateau. Elles sont jeunes encore et belles. Elles sont nées dans les années 60, au cœur de l’Azerbaïdjan iranien, précise l’écrivain. L’une vit en France, sa mère, l’autre en Allemagne. La troisième est en Iran.
N’en disons pas plus sur les entrelacs très complexes, leurs vies dans leur pays, leurs vies en exil, les difficultés à surmonter. Elles sont là, dans la bouleversante simplicité de leur présence.
Parfois elles parlent, parfois elles dansent. Gurshad Shaheman les célèbre.
Le texte, publié comme les deux précédents, aux Solitaires Intempestifs, est remarquable. « Tu le crois, ça, Gurshad ? » Il nous rappelle que ces récits lui sont adressés. Il les a recomposés. Sa maîtrise du français est celle d’un écrivain original, personnel. C’est magnifique.
Les trois comédiennes sont aussi belles que sensibles et leurs tonalités donnent une force magistrale à ce qui nous est dévoilé. Guilda Chahverdi, Mina Kavani, Shady Nafar. Elles aussi ont des parcours marqués par l’exil, le leur, celui de leurs familles.
A la fin, les trois sœurs rejoignent leurs doubles. Les premières expriment leur sentiment après cette traversée, cette exposition –il est demandé aux spectateurs de ne pas prendre de photos, mais les maniaques du cliché ne comprennent pas qu’une photo peut être dangereuse. Les comédiennes traduisent avec fluidité les paroles.
C’est très beau, très simple et sophistiqué dans les rythmes, les lumières, les moments de chant, de danse. L’équipe artistique qui entoure l’écrivain-metteur en scène-acteur est excellente. On annonce trois heures sans entracte : cela passe comme un souffle.
On reparlera de ce travail puissant et doux dans sa forme, lors des représentations du printemps.
Ne ratez pas ce grand moment et lisez ce bel écrivain…
« Les Forteresses » prochaines dates : TNBA Bordeaux du 25 au 28 janvier. La Filature, Mulhouse, les 3 et 4 février, le Manège de Maubeuge, les 24 et 25 mai, MC93 de Bobigny, du 3 au 11 juin.
Texte : Les Solitaires Intempestifs,15€.