Ultime mise en scène de Sylvain Maurice comme directeur du CDN de Sartrouville, « La Campagne » de Martin Crimp, est aussi intelligemment dirigée que magistralement interprétée. Au côté de celle qui est aussi devenue une auteure, Manon Clavel, magnifique et Yannick Choirat, dans le rôle ingrat de celui qui ment.
Allons droit au fait ! On connaît bien la pièce de Martin Crimp. Elle a été très tôt montée en France. Mais c’est comme si elle était neuve.
On ne s’en étonne pas car on sait depuis très longtemps la puissance et l’art très sensible de Sylvain Maurice. C’est un très grand artiste et, avec La Campagne, son dernier travail de metteur en scène au Théâtre de Sartrouville (et des Yvelines, un centre dramatique national), il nous offre un moment d’une force profonde. Il a conduit les trois interprètes au plus près des humeurs évanescentes et angoissantes distillées par Martin Crimp. Ici, plus que jamais, l’écrivain britannique, né en 1956, apparaît comme un héritier d’Harold Pinter. Mais il possède une personnalité profonde, et Crimp est Crimp !
La traduction de Philippe Djian, déjà entendue, résonne ici de son ambivalence vénéneuse. Là aussi, Sylvain Maurice est un maître : il éclaire toutes les moirures de l’angoissante situation et les comédiens jouent toutes les notes.
Tout paraît simple, paisible. Une femme, jeune, découpe des motifs de fleurs avec de grand ciseaux et s’adresse à son mari. On comprend qu’il est rentré la veille, tard, avec une toute jeune fille, qui dort à côté, dans une pièce de la maison. Elle se repose. Il l’a trouvée, inconsciente ou presque, dans un fossé, le long de la route qui le ramenait à la maison, lui qui est médecin. De campagne.
Dans les intonations, musicales, légères mais interrogatives de l’épouse, Corinne, se love immédiatement le noeud dramatique de ces scènes de la vie d’un couple. Ils sont beaux, ils s’aiment, certainement, en tout cas elle le pensait. Mais le venin de la trahison, du mensonge, corrode toutes les belles apparences de calme, d’harmonie.
Disons-le : on connaît, on admire, on suit, Isabelle Carré depuis ses tout débuts. Elle avait 18 ans et sans doute moins. Elle a toujours été séduisante, bouleversante. Mais ici, elle a encore monté d’un cran. Elle est éblouissante, libre, fascinante. Elle est portée par le rôle, l’écriture, le metteur en scène. Le dispositif scénique, de Sylvain Maurice lui-même, est l’idéal lieu qui éclaire le propos de Crimp. Lumière, son, Rodolphe Martin et Jean De Almeida, illuminent encore le jeu.
Dans la partition ambivalente du mari, Richard, Yannick Choirat est parfait. Il est séduisant, comme il se doit, sincère dans son engagement de médecin, mais faible, mais fuyant, mais menteur. Une interprétation très maîtrisée et fine.
Et puis il y a celle qui introduit le doute, celle qui sépare mais que tout le monde -le mari et la femme, en fait- aime. Rebecca, portée par une jeune comédienne déjà repérée mais qui, ici, s’épanouit. Libre comme Isabelle Carré, audacieuse, insolente comme l’est son personnage, comme l’est le personnage de Corinne, menteuse, fuyante, odieuse avec Corinne car elle se sent forte et qu’elle adore l’ambiguité destructrice de la situation.
Cette mise en scène de La Campagne est remarquable. La meilleure mise en scène en France de Martin Crimp. Un trio d’interprètes incandescents. Pour des personnages si proches…
La dernière représentation a lieu ce samedi, en présence de l’auteur. Une tournée suit :
du 1er au 3 décembre au Théâtre Montansier, Versailles
du 7 au 9 décembre 2022 à la Comédie de Picardie, Amiens
du 5 au 22 janvier 2023 au Théâtre du Rond-Point, Paris
du 26 au 28 janvier 2023 au Théâtre national de Nice